Dominique Dussidour | « Il faut devenir athée »
Michel Hameau est un ami de longue date de Dominique Dussidour, il l’a connue en 1971, quand elle revenait d’Afghanistan. Lors du service d’inhumation, le 19 juin dernier, il nous a lu une lettre qu’elle lui avait envoyée, à la mort d’un ami commun. Il a accepté de nous la confier pour publication, nous l’en remercions chaleureusement.
Dominique Dussidour à Michel Hameau, le 28 octobre 1994 :
Cher Michel,
j’ai reçu hier jeudi ta lettre m’apprenant la mort de Luc. J’en suis restée hébétée toute la journée pour différentes raisons. Que cette mort était si soudaine, accidentelle, qu’aujourd’hui encore je ne réalise pas, je ne la comprends pas comme fait. D’ailleurs le fait de la mort est difficilement acceptable. Pour l’accepter il faut perdre quelque chose pour trouver autre chose. Quoi ? Une croyance enfouie qu’un sentiment de la vie, une énergie vitale, est plus forte que tout. En somme (je sens que je raccourcis mon raisonnement mais tant pis, j’y vais) il faut devenir athée. Réellement athée – et je ne parle pas de l’Église ni de quelque manifestation extérieure que ce soit, tu comprends bien. Ce qui est moins facile qu’il n’y paraît si on considère le sentiment religieux (de la religion) comme une potentialité de l’esprit humain. Il faut accepter qu’il y avait quelque chose (quelqu’un) et qu’il n’y a plus rien – qu’il y a autre chose : nous et le sentiment que nous avons/gardons de Luc. Sortir du point de vue statique de soi pour entrer dans une dynamique humaine.
J’ai peut-être l’air d’en parler savamment. Ce n’est pas le cas. Je suis très touchée par cette mort. Mais j’ai beaucoup réfléchi à tout cela depuis la mort de ma mère cet été (réflexion à laquelle ne se mêlait quasiment aucun élément affectif – essentiellement le fait de la mort.)
Qu’il faut continuer de vivre n’est bien sûr pas le problème. Plutôt vivre désormais avec le fait de la mort. Rien de morbide. Mais faire preuve d’intelligence. Et d’intelligence de la vie en particulier. Luc était pour moi une des figures positives de l’humanité.
Je t’embrasse et je pense à toi.
Dominique.