Pauline Moussours | Pour se cacher, rester vivant.

Faut-il avoir peur

Il entre dans la rame de métro, quand il y a dans mes oreilles, une chanson de ce groupe de musique, Cigarettes après l’amour, et vient s’asseoir face àmoi, dans le carré quatre personnes, nous sommes alors nous deux, l’un en diagonale de l’autre, je le regarde lentement, lentement comme la chanson, il porte un sac en cuir àbandoulière, sur lequel il est inscrit, en gros caractères, le mot Air France, puis en-dessous, en plus petit Le plus grand réseau du monde, je fixe son sac, me demandant si cette affirmation est vraie, s’il sait piloter un avion, s’il sait l’utilité de chacun des nombreux boutons dans le cockpit, s’il rentre du ciel et des nuages, car son regard se perd rêveur sur la ville, depuis ce métro aérien, comme doit l’être aussi son sac, peut-être même sa vie, c’est làqu’il laisse glisser l’une de ses mains dans la poche extérieure, faisant bouger les lettres, pour en retirer deux mandarines bien mà»res, avec des feuilles sur la tige, et pendant son mouvement, la manche de son manteau se relève, me dévoilant àson poignet un bracelet noir en caoutchouc, il est y inscrit, en lettres blanches majuscules, les mêmes presque que celles d’Air France, le mot FEAR, est-ce que cet homme a peur, de qui, de quoi, faut-il avoir peur, de quelque chose ou de quelqu’un, je tente de photographier son bracelet en douce, avec mon téléphone exagérément relevé, mais l’homme se lève, car nous nous arrêtons àla station Glacière, la bruine apparaît lorsque la porte s’ouvre, il descend très vite, je remarque alors ses chaussures montantes àlacets, j’y recherche rapidement un mot, il n’y en a pas, l’homme disparaît dans les marches, me laissant seule le restant du trajet, j’en viens alors àme demander, si j’avais un bracelet en caoutchouc, quel mot j’aimerais qu’il y soit inscrit.

Ta peau étrange

C’est encore un soir de l’été, avec la sueur le long des jambes, le volet àdemi-fermé, face au voyant rouge de la télévision, je ne l’ai pas allumée depuis des jours, peut-être même des semaines, àpart une fois la nuit, pour voir un film japonais, africain et français, un film avec des chats, des enfants islandais, des regards-caméra, j’y pense chaque fois que je suis allongée, il y a des couleurs, l’image d’un bonheur sur une route, je pense àce film terminé, depuis le téléviseur éteint, comme s’il était resté en suspens, quelque part dans l’écran, jusqu’àmon lit défait, jusqu’àmes yeux dans le coussin, comme si les films ne s’achevaient pas, qu’ils choisissaient des lieux, des espaces infinis, pour se cacher, rester vivants, en évidence ou dans les coins, c’est encore un soir de l’été, le vent passe par le volet, un plan-séquence avant de dormir, il n’y a pas assez de nuits, dans les films, pas assez de sommeil, dans les films, encore moins d’ennui, il y a ta peau marron, comme un café, lorsque je tends mon bras, une contreplongée, je ne veux plus rallumer ma télévision, depuis ce lit, de peur d’y voir d’autres images, elles pourraient se confondre, plusieurs réalités, un film de l’été, des rayons verts avant midi, l’odeur du bois, souvent je me demande, pourquoi j’écris sur le cinéma, toujours sans y penser, une habitude, une nécessité, j’écris pour ne pas l’oublier, il faudrait faire un film, sur ta peau étrange, une histoire courte, autant qu’un générique, il défilerait dans l’été, le long des murs et de tes jambes, où je lirai ton nom, parmi les figurants, un petit rôle, il manquera des lettres, vers la fin, quelle importance, nous allons dormir et nous réveiller, dernier soir de l’été, face aux fictions dissimulées, avec de la sueur entre nous.

9 juillet 2019
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