La nuit féroce

Roman de Ricardo Menéndez Salmón


Promenadia, village perdu des Asturies, novembre 1936. Homero, le maître d’école, n’est pas originaire du lieu, ce qui ne peut que susciter de l’hostilité au sein de cette communauté où l’on apprécie peu les étrangers. Il vit chichement et mange chaque jour dans une famille différente. Ceci explique le surnom, peu enviable, de « Â pique-au-pot  » qui lui a été attribué. L’homme qui le reçoit àsa table ce soir-làest un paysan rustre, père d’un fils idiot, d’une grande fille enceinte et d’un autre fils plutôt rêveur. La fin du repas et le retour àl’école marquent le début d’une nuit qui ne ressemblera ànulle autre. Le meurtre d’une fillette, qui a été violée et dont le corps a ensuite été jeté dans un puits, est venu fracasser l’apparente tranquillité du village. La colère est palpable. Une chasse àl’homme a d’ores et déjàdébuté. L’instituteur va rencontrer en quelques heures, sans le vouloir, et àtour de rôle, tous les protagonistes du drame qui est en train de se jouer.

« Â Quand il ouvre la porte, le vent se faufile jusqu’au dernier recoin de la maison. C’est un vent venu du cÅ“ur même de la montagne ; un vent si atroce qu’il est impossible de ne pas penser àla mort.
C’est alors qu’il les voit.
Accroupis près des balançoires, sous une couverture, il y a deux corps tremblants.  »

Ce sont ceux de deux hommes apeurés qui tentent d’échapper àla battue en cours. Ils sont itinérants. Ils cherchent du travail et viennent de se faire traiter d’assassins par une vieille qui ne manquera pas de signaler leur présence aux chasseurs qui tirent sur tout ce qui bouge. Les aboiements des chiens et les coups de fusil résonnent alentour. La traque est menée par un curé fou furieux, le père Aguirre, qui jouit d’une grande influence et qui a embarqué avec lui deux sbires capables du pire.

« Â Le père Aguirre aspire avec force, crache un brin de tabac et s’enfonce son chapeau jusqu’aux oreilles. Il ne porte pas son habit. Il a une croix de Calatrava tatouée sur la main droite et une petite médaille d’argent avec la légende Tempus fugit sur la poitrine. Son nez fait penser àun bec d’aigle ; ses yeux àdeux petits poignards.  »

Le curé harangue la meute. Hommes et chiens obéissent àses ordres. Et suivent, dans la neige qui commence àrecouvrir la terre, les traces des deux fugitifs qui n’ont aucune chance de s’en sortir. Ce qui les attend dépasse l’entendement. Ils devront payer pour un crime qui ne peut rester impuni. Épuisés, ils se retrouvent bientôt cernés et livrés au féroce ecclésiastique. Qui dicte la sentence et décide de son exécution immédiate. Homero, qui a suivi les évènements àdistance, se sachant aussi lâche que les autres, incapable de stopper cette folie meurtrière, n’arrive sur les lieux que plus tard.

« Â Les hommes pendent comme des draps noirs. Ils portent tous les deux des capuchons de pénitents. Le vent les balance de côté, comme s’ils leur mordait les genoux. Bleuis de sueur, les chiens se disputent leurs chaussures.  »

C’est cette terrible histoire, ce conte cruel, qui a lieu sur fond de guerre civile, que déroule, en séquences brèves, Ricardo Menéndez Salmón. Il procède de manière implacable, en une écriture fulgurante. Il dresse le décor, souligne l’atmosphère ambiante et brosse le portrait de ces différents personnages en maintenant une tension communicative. Un mal qui semble venir de loin et traverser les époques en contaminant les hommes guide ces justiciers qui exécutent sans vergogne.

« Â L’homme lance des ponts, domestique des forêts ou résout des problèmes mathématiques posés voilàdes centaines d’années, mais tout son génie, toute sa patience et toute sa ferveur pâlissent devant l’énigme de sa méchanceté.  »


Ricardo Menéndez Salmón : La nuit féroce, traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, éditions Do.

Jacques Josse

12 septembre 2020
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