Le pas-comme-si des choses, Virginie Poitrasson

Me voici enfermée dans le vase en verre translucide posé sur la table du salon. C’est la quatrième fois cette semaine, je suis bien embarrassée. À force je ne sais plus où me mettre, où me poser pour me calmer, me rasséréner, alors je choisis ce qui me tombe sous les yeux. Et, c’est encore le vase. Bien sûr je peux toujours avoir une conversation, je suis un peu à l’étroit mais on voit au travers donc cela ne pose pas de problème à mon interlocuteur. Parfois il arrive qu’il me cherche vainement dans la pièce, sans pouvoir trouver la provenance de ma voix, je l’observe de la table, il tourne en rond, un peu désorienté, certains ont même l’air très angoissé et croient à un tour de passe-passe. C’est juste que, je ne peux pas me résoudre à trouver une forme définitive. Je suis en quelque sorte hors champ, et ce en permanence. Les objets brillent d’un éclat métallique, à mon contact, ils deviennent élastiques tels des tubes en plastique. Alors, après quelques exercices d’assouplissement, et quelques respirations profondes, je me soumets à une gymnastique des plus contraignantes. Les résultats sont le plus souvent étonnants. Je me glisse dans la canalisation de l’évier, je cale ma tête dans le chapeau de lampe ou je m’enroule dans les rideaux. Je finis par avoir exploré toutes les pièces de la maison, sauf la cave où je serais trop invisible. Même en étant hors champ, je dois rester proche de l’action, tel un électron qui gravite fatalement autour de son noyau de protons et de neutrons. Living restraint. Je cherche ma propre texture en épousant la forme des objets qui m’entourent.

 

Je découvre chez les objets un geste étrange : ils font semblant de n’être pas eux-mêmes, de n’être que des récipients pour autre chose. Ils s’offrent facilement. Que ce soit mon porte-monnaie, mon stylo plume, le bougeoir, le bol à thé et même la fenêtre. Ils sont récipients avant toute chose. À remplir.

La fenêtre, elle, est le devant d’un large aquarium. J’y vois un paysage aquatique. Il pleut dehors. Les feuilles trempées des arbres font dégouliner ce paysage.

 

Sur la table, la tasse et le vase ont pris des dimensions extrêmes, mes mains me semblent pleines d’une vie qui n’est pas mienne et le ciel se fait trop insistant. Je m’agrippe aux bords de la tasse. Je dois trouver une issue. À ce moment, ma vue est claire comme le cristal, mais voilà que je glisse sur le rebord et c’est sans ascenseur, je ne peux voir si je suis descendue tout en bas ou non, et tout d’un coup tout est trop loin. Je perds peu à peu de vue le ciel. Mes mains s’éloignent, ne touchent plus mon visage. Seul un autre être pourrait ouvrir le chemin du retour.

 

Parfois, c’est aux fils électriques que je m’en prends, je cherche à les faire disparaître les uns après les autres. Je rase la cloison, je me penche par-dessus la commode, je regarde derrière le canapé, j’en retire un et un autre et encore un autre. Mais ils sont bien plus nombreux que je ne crois. Des fils, j’en trouve sous le lit, derrière l’étagère, à mes pieds, autour de mon cou. Même mon nombril a l’air d’être branché. Je cherche à me débrancher. Vainement.

 

Tout à coup, je me mets à rétrécir, mes jambes pendent dans le vide, mon corps s’enfonce dans le canapé, ça ne peut pas continuer, je saute sur mes pieds, cours à la porte, l’ouvre brutalement mais elle résiste, refuse de s’ouvrir. J’y vais en force, j’arrive à l’entrouvrir en faisant contrepoids, je glisse alors la main dans l’entrebâillement, puis le bras, puis mon corps tout entier. Me voilà de l’autre côté. Est-ce que mon sort va alors s’inverser ?

 

« Mon corps est la texture commune de tous les objets. »

 

Extrait Le pas-comme-si des choses, 2017

 

8 février 2017
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