Lettres à R.B.

Les textes sous forme d’une correspondance avec Rosa Bonheur et les photographies réalisés lors de la résidence au château donnent lieu à un ouvrage qui sera publié aux Editions de Juillet en septembre 2022.

Extrait de la lettre n°1

Chère Rosa,

Je me promène dans votre parc et je vous imagine y marchant à grandes enjambées et quitter quand vous le souhaitez les allées tracées pour vous perdre dans le sous-bois, sans crainte d’accrocher aux branchages une longue jupe aussi embarrassante qu’inutile dans la nature. Au moment de votre naissance, le port du pantalon n’est plus l’attribut des classes populaires mais a déjà progressivement incarné l’ordre bourgeois et l’emblème de la masculinité. Pour être libre de vos mouvements vous aviez choisi de vous habiller en homme et de porter « le pantalon ». L’image ici est bien à entendre au propre et non au figuré puisque nul mariage ne vous a conduite à entendre un jour que « vous portiez la culotte ». Pour ce faire, vous aviez dû à l’époque faire une demande de travestissement, l’ordonnance du préfet de police Dubois n° 22 du 16 brumaire an IX vous interdisant de porter cet attribut masculin et ainsi plus largement vous empêchant d’exercer des métiers réservés aux hommes.
(…)
Lorsque je relis l’histoire de votre vie, il apparaît à quel point il fut important pour votre travail de pouvoir vous habiller à votre aise : « Les vêtements féminins étaient une gêne de tous les instants, provoquant insultes et railleries. » Mais surtout vous affirmez « il me sied de m’habiller à ma façon. » Sans pantalon, vous auriez été obligée de monter à cheval en amazone. Sans être à califourchon il vous aurait été impossible de parcourir campagne et forêts ou même d’arpenter les Pyrénées avec Nathalie. Telles les châtelaines du Moyen Âge qui, plutôt que de rester au château, ont choisi de suivre leur époux aux croisades vêtues en homme, vous avez enfourché votre cheval. Car cette jupe que les femmes de votre époque se devaient de porter pour avoir fière allure ne faisait en réalité que les ralentir et restreindre leurs déplacements.
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Les choses ont beaucoup changé, mais avant de rentrer dans le vif du sujet et pour vous faire au moins sourire, il faut que je vous raconte que cette fameuse ordonnance qui vous a obligée à demander l’autorisation de vous couvrir les jambes n’a jamais été abrogée, restant ainsi en vigueur sur le papier jusqu’en… 2013.
(…)
Je vous annonce d’emblée que depuis la fin des années 1960 ce fameux pantalon remplit toutes les armoires féminines et masculines sans distinction. Le jean 501 unisexe est d’ailleurs apparu alors que vous étiez encore vivante, dans ce nouveau monde où vivait votre ami Buffalo Bill dont vous avez fait le portrait. Certes, il faudra attendre 1934 pour voir apparaître le premier jean pour femme et les années 1960/1970 pour qu’il envahisse les boutiques mais la partie était gagnée et le pantalon était devenu un vêtement quotidien et banal pour les femmes en Europe.