Ici, qu’est-ce qu’il y a ?

Pour explorer le sentiment du lieu et pour se dégourdir les pattes, on propose aux participants de l’atelier d’utiliser une structure répétitive, qui s’apparente encore une fois à une liste à la Perec : on alternera les "Ici, il y a " et les "Ici, on aura", faisant ainsi varier le pronom entre l’individuel et le collectif et le temps entre le présent et le futur. Les participants sont explicitement encouragés à perturber la structure et à improviser d’autres formes.

Comme d’habitude, les textes des adolescents du collège Clemenceau et ceux des adultes de l’atelier qui se tient à la librairie la Régulière sont ici mélangés.


Ici il y a les murs
Ici on aura l’horizon
Ici il y a le zinc
Ici on aura la feuille
Ici il y a le bruit
Ici on aura les notes
Ici il y a l’urgence
Ici on aura le temps
Ici il y a la puanteur
Ici on aura les senteurs
Ici il y a le manque
Ici tout suffira
Ici il y a le vide trop plein
Ici on aura le juste plein
Ici on halète
Ici on respirera grand
A-C.

Ici il y a un passage piéton déformé, avec un énorme creux au bord du trottoir et de l’eau qui y stagne depuis toujours.
Ici, il y avait un atelier de couture. Maintenant c’est un appartement avec des meubles chers.
Ici, il y avait des travaux sur le trottoir. Ils sont partis en laissant un trou.
Ici, il y avait un centre de désintoxication et des gens qui buvaient des cafés sur le parvis en se disputant. Les jours de fermeture, quelques personnes attendaient devant. Maintenant, c’est ouvert tous les jours, il y a moins de monde et moins de disputes.
Ici, il y avait un local vide. Maintenant, il y a un monsieur qui fait des maquettes.
Ici, il y a toujours eu des gens assis sur le rebord du grillage du square.
Ici, il n’y avait rien et maintenant il y a un parking à vélos et des pots de fleurs qui bouchent le passage.
Ici, il devait y avoir une place avec un arbre au milieu mais ça ne s’est jamais fait.
Na.

Ici il y a des morceaux de fer
Ici on aura un immeuble
Ici il y a pourtant de la terre
Ici on aurait aimé des jardins et des fruits
Ici il y a bientôt tout
Ici on aurait aimé qu’il n’y ait rien
Ici il y a sûrement déjà quelqu’un
Ici on aura peut-être des enfants
ici il y a de quoi faire
Ici on aurait aimé que tout s’arrête.
Lo.

Ici, il y a des gens de toutes tailles, de tout âge, de toute origine et à toute heure, comme cet homme qui grimpait parfois sur les poteaux pour crier des trucs que je ne comprenais pas.
Ici, il n’y a pas de feux, qu’ils soient rouge, vert ou orange, il n’y a pas de feux mais il y a des voitures, des qui s’arrêtent et des qui vous dépassent et à qui vous lancez un regard noir avant de traverser.
Ici, il y a la boulangerie rouge, ce n’est pas son vrai nom mais pour moi (et pour nous) elle n’en a aucun autre. Ici, il y a la boulangerie d’en face, c’est toujours pas son nom mais pourtant elle est en face, alors...
Dedans, il y a les dames qui sourient et demandent des nouvelles aux clients, et il y a le monsieur qui nous a toutes appris à dire msamen plutôt que de les pointer du doigt, et qui nous offre des mini-viennoiseries.
Ici, il y aurait pu avoir un vendeur de marrons grillés mais non.
Ici, il y a chez moi, avec le magasin de vêtements d’à côté, la façade faite de roulés blancs et la grande porte noire aux carreaux qui s’ouvrent et se tournent.
Ici, il y a la pharmacie, où travaillait la tante de mon amie, où il y a un monsieur qui fait le test antigé et un autre qui vous détruit les narines avec lesdits tests.
Avant ça, il y a l’immeuble de mon amie que je ne vois plus, qui a été l’immeuble de l’amie que j’ai le plus vue.
Ici, il y a ma vie, ou du moins une partie.
Gu.

Ici, il y a un grand jardin.
Ici, on aura des arbres fruitiers.
Ici, il y a une binette.
Ici, on aura des fraises parfumées à l’eau de rose.
Ici, il y a un puits.
Ici, on aura de l’eau fraîche débordante.
Ici, il y a un chemin.
Ici, on aura les chevilles lacérées par les ronces.
Ici, il y aura de l’ombre.
Ici, il y a un mur trop haut.
Ici, il y a eu des barbelés.
Ici, on aurait pu les retirer.
Ici, il fait chaud.
Ici, on aura l’horizon.
Ici, il y avait des cris d’enfants.
Ici, on aurait des voisins.
Ici, il y a le claquement sourd de machines puissantes.
Ici, on roule sur la pelouse grise.
Ici, il y a des parcelles ceinturées.
Ici, on fait avancer les roues de bulldozers.
Ici, il y a une femme sur le seuil de sa porte.
Ici, on écrase la maison.
Ici, il y a des terrasses.
D’ici, on voit le jardin du voisin.
Lau.

Ici, il y a des arbres, mais ce ne sont pas des arbres banals. Ils sont énormes, presque gigantesques. Nul ne sait quand ils ont été plantés. Leurs poids s’écrasent sur cette rue ensoleillée au printemps et leurs couleurs orangées recouvrent les passants en automne.
Ici, il y a une école maternelle qui, pendant les vacances, te réveille avec les rires des âmes d’enfants.
Ici, il y a aussi deux chats errant. L’un de couleur noire et l’autre de couleur rousse. Leurs jolies frimousses deviennent presque terrifiantes lorsque leurs yeux luisant brillent dans le noir comme des lanternes.
Au bout de la rue, il y a un café qui s’anime souvent lors des soirées en été. Des langues étrangères et pourtant familières s’y échangent de temps en temps. En face, une baraque. On pourrait appeler ça un magasin mais ça déborde là-dedans. S’il y a des habitués, peut-être qu’eux peuvent s’y retrouver.
Ici, tous les matins, une femme habillée de façon très sophistiquée passe puis repasse en promenant son chien. On pourrait presque penser que cette rue est seulement une aire de jeu, vu les traces laissées par terre après ces passages répétés.
Ici, il y a des remarques répétitives lorsqu’une femme passe ou rentre de sa journée. Peu importe l’âge, disaient-ils.
Des affiches intrigantes et menaçantes sont accrochées sur les murs. On ne connaît pas l’artiste. Elles sont souvent recouvertes de messages orduriers.
No.

29 mars 2022
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