lexique généraliste
Il a été le premier chien au monde en 1891 à se faire écraser par une automobile, une Panhard & Levassor, alors que celles-ci étaient vraiment peu nombreuses : pionnier ou malchanceux. Spectre braillard, il fait se hérisser le chat des terrains vagues.
Désir qui aboie dans le noir est la forme multiforme de cet être. Henri Michaux.
Le projet Instin perpétue une étrange tradition familiale. Depuis le XIXe siècle la famille Hinstin s’inscrit génération après génération, à son corps défendant, dans les marges de la littérature et de l’art.
Il s’agit alors de prolonger cette tradition vivante : déplacer les Hinstin du champ réel au champ fictionnel, leur assigner une place médiane entre les deux univers, intercesseurs, pontifes, Hermès sur un fil légendaire, mythique (le mythe de ceux qui connaissent également l’Autre Monde, puisque la mort reste fiction pour les vivants), indiquant aussi que par-delà les siècles et les bouleversements historiques subsistent des invariants dont la persistance est garantie par leur plasticité même, qui ont plus à voir avec le nom (et la suspension du sens) qu’avec la généalogie.
Avec le premier humain naquit la première fiction.
Adèle fut un être effacé, tapie dans l’ombre de son mari, sans caractère, apeurée, timide, souvent alitée, engourdie par le laudanum et les romans à l’eau de rose : à l’autre les faits d’armes et les épaulettes, les grands espaces et les frémissements sanguinaires. Elle fut malheureusement incapable de concevoir malgré d’âpres tentatives renouvelées – assaut du fort Desaix en Martinique, prise de la Grande Pruderie, capitulation de Metz (d’aucuns avancent que l’époux en était responsable mais comment un général pourrait-il être stérile ?). Cette absence d’héritier pesa sur les vieux jours du guerrier qui s’affaissa sous le manque.
Adèle absorba son dernier souffle et vivota encore un peu. Le veuvage lui allait bien. Ses voilettes lui donnaient un air mystérieux. Les messieurs disaient : « Rien ne conserve la jeunesse comme la robe noire de la coquetterie » en s’inclinant devant son ombre qui promenait ses rêveries dans les squares et sous la poussière des muséums. Puis l’agonie survint comme une bande de brouillard glissant lentement sur la lande écossaise. Elle ne mourut pas vraiment : elle paracheva sa disparition.
J’ai cherché une / phrase inédite et j’ai connu que je n’en pouvais pas / trouver ni conserver en moi qui ait la grâce d’un chant / ou la simple caresse d’une main posée. Sereine Berlottier, un rêve d’Adèle.
Chez le général, débâcle est le nom d’un état d’âme, état longtemps convoité puis conquis de haute lutte après des mois de siège pour planter dans l’arrogante citadelle le drapeau de la désespérance.
Je vous vois comme dans les films debout sur une éminence la lorgnette à la main, et la brise fait voleter les plumes de votre bicorne tandis qu’autour, qui n’en pensent pas moins, les subalternes scrutent autant les vallonnements de votre beau visage d’autorité, comme dit la renommée, que ceux de l’horizon, pour chercher à y entendre quelque chose, à cet avenir putassier, et à l’Histoire à l’œuvre devant eux et sous votre petit commandement ; ah ! certes, vous ne feriez pas honte à votre prédécesseur au Génie, le brave Éblé de la Bérézina. Jean-Marie Barnaud.
BUG
Le terme instin désigne également une famille de parasitages et piratages informatiques, fakes, phishing (hameçonnage), spams, bugs plus ou moins dévastateurs, jusqu’au big one baptisé « la Matrice » qui pourrait selon les pessimistes effacer au même instant toutes les données des ordinateurs du monde entier. Mais les pessimistes fanfaronnent : modeste, instin se niche plus volontiers dans les ampoules qui éclatent, toux de moteurs, courts-circuits et larsens.
La panique a eu si peu le temps de se propager. Quelqu’un a crié que les API avaient été détournés, un autre a mollement questionné au sujet du firewall, le terme hacker a résonné, exhalé plus que prononcé par une voix venue d’un des desks du fond, et c’était fini. Cinq ou six secondes, ça a duré. Éric Pessan, sur le virus instin.
Quelques ifs. Un lacet de fleurs des champs. Marche vers la rivière.
Nous sommes un corps sans cesse modifié. / Nous sommes un corps sans cesse modifiant le monde auquel nous appartenons. / Nous sommes un corps sans cesse modifiant la qualité de l’appartenance. Marc Perrin.
ERRANTS
Tout aspirant instinien (instinateur, instinant, instinitif…) digne de ce nom s’est perdu dans le cimetière Montparnasse à la recherche du vitrail du général Hinstin, pour espérer enfin faire face à son visage – et son absence. Certains n’ayant pas trouvé la tombe sont ressortis pour s’aventurer jusqu’aux boulevards des Maréchaux, grisés de légendes urbaines. D’autres ont passé la nuit au cimetière, s’imposant cette épreuve comme une initiation, prenant note de leurs sensations et pensées, et des bruits alentour dans ce macabre recueillement. Chacun finalement a trouvé son général car une errance ne ressemble jamais tout à fait à une autre : comme toute vie humaine une errance est indispensable et dérisoire.
Si près du but, la nuit obscure. / Le centre, cette fureur passée, / colère du soleil. / Le passé porte / la signature du ciel. Nicole Caligaris.
∆Les•gens’disparaissent’facilement’sous•la’neïgeˇIls’sont’petit’à’petit•recouvërtsˇpuis’ils’s’effacent’ils’s’effacent’ils’s’effacent∆
Le projet GI se configure et se développe sur trois niveaux en interdépendances. Il traite d’un personnage fantôme, le général Instin, qui bataille avec sa propre disparition. Il prélève dans les champs du réel et de l’imaginaire des correspondances à ce général premier, reflets, analogies, ou plus exactement fractales. Il est la somme d’écrits, d’images et de gestes artistiques liés à l’ensemble de ces générals, épopée qui à chaque étape se découvre un but légèrement autre.
Son but, bien que (parce que) flou et changeant, semble de vouloir créer les conditions d’une révolution du regard.
Traduire l’impensable alors qu’il s’agit pourtant d’une expérience, simplement d’une nouvelle expérience en train de se faire de tout ce qui se défait. Laurence Werner David.
Je ne mourus pas, et je ne restai pas vivant / Juge par toi-même, si tu as la fleur d’intelligence / ce que je devins, sans mort et sans vie. Dante Alighieri.
Merci à Joachim Séné pour l’idée recherche Google Images.
D’autres extraits du Lexique généraliste sont visibles dans la revue Geste n°7 - Proliférer (printemps 2011).