Marche lynx

Olivier Benoit-Gonin est ornithologue et naturaliste. C’est son premier recueil et ses poèmes naissent tout naturellement d’un quotidien fait de longues marches en plaine, dans les vallées, au bord des rivières ou en montagne pour observer les animaux qui y vivent, dans le respect de leur environnement et en étant le plus discret possible. Il connaît l’art du camouflage et les bienfaits de la planque. Il n’est pas là pour déranger.

« Seul au milieu du delta j’espère un chemin

L’aigrette blanche crie

Je remonte sur le tronc cassé d’aulne

Au sol
Écrasé d’herbes
Comme une lune
Un nid de rat des moissons »

Corps en mouvement, il se faufile, reste attentif et sait qu’il a toujours à apprendre de ce monde (animal, végétal et minéral) qu’il côtoie depuis longtemps. Il l’arpente patiemment, l’écoute respirer au rythme des saisons et remarque que l’homme laisse, là aussi, comme partout où il passe, des traces indélébiles, saccageant des endroits fragiles, qu’il faudrait tout au contraire préserver.

« Je suis terrifié par les chants fantômes
Des espèces qui disparaissent »

Fort heureusement, des présences souvent peu visibles, telles celle de "la tortue cistude qui creuse avec ses pattes arrières", celle de "l’engoulevent qui relance sa trille" ou encore celles du "torcol fourmilier" ou "du merle noir / Trop possédé de notes / Combattant de l’aube des grives", l’apaisent et le réconfortent.

« Saisi par l’averse et le brouillard
Qui noie les cimes
Tissé de chants d’oiseaux

Un troglodyte répond à une fauvette
Effets de bordure d’une forêt ancienne

Des dizaines d’oiseaux
Je ne suis pas au centre
Je suis dans chacune de leurs notes »

D’autres volent jour et nuit au-dessus des océans pour venir. Ils repartiront plus tard. En attendant, il faut les répertorier, en baguer certains. Cela a lieu dans la réserve naturelle des étangs de Mépieu, en Isère.

« Avec mon bâton j’ouvre les filets japonais
Pour moissonner des passereaux
Je ne suis pas seul
Six heures quinze
Des étudiants

Au milieu des pulsatilles
Je collecte un rossignol philomèle
Une fauvette à tête noire un bruant zizi un geai des chênes
Leur œil me regarde craintif

Silence des deux parties
Le rossignol vit
Traverse les mers
Je suis un voyageur local
Nous avons un rendez-vous annuel
Respect »

Observateur avisé et bon marcheur, Olivier Benoit-Gonin note dans ses carnets du dehors ce qu’il découvre et ressent au cours de ses sorties. Il dit également ses craintes, ses colères. Et y imprime sa quête d’harmonie, sa spontanéité, son dynamisme et la constante mise en pratique de ses convictions profondes.


Olivier Benoit-Gonin : Marche lynx, préface de Luc Jacquet, éditions Le Clos Jouve.

Jacques Josse

30 octobre 2025
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