Matt Reeck | un petit pique-nique en famille

sije suis à la maison
au parc public en fait
pour faire un petit pique-nique en famille
sije suis à la maison
au parc public en fait
pour faire un petit pique-nique en famille
c’est un jour férié pour célébrer et honorer la vie de Christophe Colomb
bahexcusez-moi
vous devez m’excuser
ce n’était qu’une
anecdote d’antanun souvenir d’enfance
ces jours-ci c’est un jour pour honorer
et respecter l’indigénatle principe sinon les personnes
qui ont été presque toutes tuées
par des anciennes administrationsj’aurais dû dire de façon plus claire par le gouvernement
de l’État-nation moderne des États-Unisun jour férié célébré dans mon état
nataldans ma ville (un village en termes européens)
où il n’y a qu’une seule famille qui parle
toujours le kansaet pas loin de ça au centre-ville d’une plus grande ville
plus près de la ville métropolitaine de notre étatc’est un menhir géré par la mairie
que les personnes indigènes veulent récupérerapparemment
le grand rocher debout
a été saisi des mains des indigènes dans une période d’histoire
moins lumineuse et moins bénévole que la nôtre(pour ne pas dire que la nôtre
est « bonne »)un menhir sacré à eux et précieux à eux qui
ne garde aucune pertinence pour d’autruisauf peut-être d’être un bon endroit
pour faire pisser les chienssi
quand j’étais petit j’étais un grand fan de la littérature
indigène même si je n’en connaissais une telle personneje lisais des bouquins
de mon école primaire et de la bibliothèque municipale où je trouvais des mystères
des tragédies des anthropologies des nostalgies et des bouquins d’enfants
(bien bénévoles si toujours pas écrits par des indigènesje ne connais guère des bouquins
comme çatoujours des histoires écrites d’eux
ou sur eux
mais pas par eux)
je sais que la moitié des noms des localités américains sont des anglophonisations
des noms « indiens »mon état natal c’est bien un truc comme ça
le Kansa ou le Kaw devient dans la langue extérioriséele Kansas
à part ça
à la télé je vois des scènes de spectacle du jour fériéun peuple ou l’autre
qui célèbre leur culture à euxindépendamment des « immigrés »
même si
le sang est bien mélangéici
un jour férié mais pas réglementairement
observéil y a des personnes qui bossent pour le patron aujourd’hui
même
certaines écoles donnent des cours aujourd’huije ne peux pas vous dire
ce qui est correctoui
c’est une cécité
une puérilité
quand il nous faut prétendre connaître une histoire faussement
construiteune contemporanéité écrite aux yeux demi-écartés
aujourd’hui
oui
un jour fériéune journée d’automne bien plaisante
les feuilles brillantes et si belles
Matt Reeck est poète et traducteur du français vers l’anglais, de l’hindi et de l’ourdou vers l’anglais.
Ses traductions les plus récentes du français vers l’anglais :
– 2024, Abdelkébir Khatibi, The Wound of the Proper Name (La Blessure du nom propre)
– 2024, Shumona Sinha, The Dispossessed (Apatride)
– 2022, Édouard Glissant, Manifestos (Manifestes), avec Betsy Wing
– 2021, Emmanuel Lincot, Discover, avec Daria Chernysheva
– 2020, Patrick Chamoiseau, French Guiana : Memory Traces of the Penal Colony (Guyane, traces-mémoires du bagne)
– 2019, Zahia Rahmani, "Muslim" : A Novel ("Musulman", roman)