Pierre Antoine Villemaine | Gouttelettes de pensée
Je veux donner corps à toutes ces innombrables petites idées & minuscules histoires qui me traversent l’esprit en éclair en toutes saisons.(V. W.)
les troncs des arbres sombres si bien dessinés dans le paysage m’apparaissaient comme les lettres d’un alphabet inconnu
les paroles fantômes venues de nulle part
gouttelettes de pensées de l’avant sommeil
les mots recèlent des ombres
éprises de la lenteur des fonds
des formes latentes transitent
écharpes de rêves
variantes floutées presqu’immobiles
le balancement d’adieux interminables
prolonge l’hésitation
ravive le refrain incertain
discordant et monotone
et encore
ce regard de l’Adam de Van Eyck : qu’ai-je fait, que vais-je devenir ?
Un jour il sortit dans la rue en pantoufle et sa vie bascula. Ce n’était pourtant pas un excentrique, c’était un normal, un transparent, un homme quelconque digne cependant d’être aimé, sans doute plus distrait ou rêveur que la plupart de ses congénères. Dans les rues personne ne faisait attention à personne. Zombies errant sans but. Pourtant une fois il s’était évanoui en pleine rue et quelqu’un l’avait secouru. Ne noircissons pas le tableau, reconnaissons qu’il reste parfois un fond de bonté dans l’homme. Donc il vivait sa petite vie ordinaire comme vous et moi. Une vie sans joie ni tristesse, une vie sans qualité, sans arôme où seuls les rires des enfants le réconfortaient mais lui devenaient vite insupportables. Tout à coup le calme qui régnait dans la rue vide le frappa. Il s’arrêta et goûta ce silence soudain, sa présence, son épaisseur. Tout semblait figé et tout s’apaisait en lui. Le monde lui apparut d’une beauté paisible, un monde qu’il voudrait ne jamais plus quitter. Qu’est-ce que j’ai donc ? se dit-il. Un vent léger sifflait entre les arbres. Avec une certaine complaisance, il fut pris de pitié pour lui-même. « J’ai été longtemps malheureux car prisonnier de mes pensées, à l’étroit, pris au piège. Soumis au supplice de la pensée, j’étouffais. Car c’est toujours à partir de la pensée qu’on critique la pensée, alors on s’en sort pas. D’ailleurs j’ai toujours eu le désir d’effacer ma propre mémoire, se disait-il. Oui, on est là, mais pas tout le temps. J’ai l’impression que nous dormons notre vie ». Ces embryons de pensées tournoyaient dans sa tête et ne menaient à rien. Le vent annonçait l’arrivée de la pluie. Un chien passa, le frôla à la recherche d’affection. Lui, il sait bien des choses que j’ignore, pensa-t-il. Plein de choses, plein d’odeurs. Je ne vais tout de même pas adopter ce chien, se dit-il, j’ai assez à m’occuper de moi-même. Il lui tira la langue et le misérable s’enfuit la queue entre les pattes en glapissant. Une pluie d’été bienfaisante se déversa en grosses gouttes chaudes et lui nettoya la tête. Depuis un certain temps de mauvais rêves l’assaillaient. Sans raison aucune le passé était de retour, impossible de l’arrêter, impossible de l’aimer. Pourquoi maintenant ? Des événements, des personnes qu’il n’aimait pas remontaient à la surface. Ces mauvais rêves lui rappelaient des situations embarrassantes, des petites saletés dont il n’était pas particulièrement fier. N’exagérons pas. Je vous le disais, souvenez-vous, c’était un homme ordinaire, un monsieur tout le monde que la moindre histoire déstabilisait profondément. Sa vie n’avait été qu’une longue attente constamment remplie par quelque chose qui n’apparaissait pas. A l’écart, dans la solitude, il passait désormais une grande part de son temps à collationner des éléments disparates. Avec le temps son cerveau s’embrouilla, il n’arrivait plus à mettre de l’ordre dans tout ce fatras, ramolli il se mit à tenir des propos incohérents qu’il croyait amusants.
4 août 2024