Pierre Antoine Villemaine | Rêves minuscules


 
 

Un conte enfantin dont je ne retrouve pas l’origine m’avait frappé. L’homme, ce devait être à la campagne, se défaisait de sa peau d’homme, il la repliait soigneusement et la déposait au pied d’un arbre dans l’herbe mouillée ; ainsi la nuit, il redevenait belette luisante et sauvage, souple et cruelle qui se glissait dans la rivière.

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Je dormais. Quelqu’un vint se glissa dans mon lit. Une présence, une boule de cheveux vint se blottir près de moi. Je pris cette masse de cheveux dans mes bras. L’homme se mit à pleurer. Il n’avait pas parlé depuis longtemps et les mots sortaient difficilement en un murmure et je ne comprenais pas tout à fait ce qu’il disait. Cela parlait, je crois, de la honte d’être ainsi.

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Le gardien était habillé en bleu de chauffe. Il n’était pas tout à fait humain. Il ressemblait à une caricature allemande des années 20 : un visage plat et trop grand, sans profondeur, un visage triangulaire - comme une plaque de carton, tout en surface. « La bête !, cria-t-il , la bête ! ». Effaré, il disparut, poussé par un balai de paille qui traçait un chemin dans la poussière noire, cendrée, volcanique. Était-il fou ? En tous cas il versa de l’autre côté, disparu en haut de la petite montagne. La musique qui accompagnait la séquence prit de l’ampleur et continua son œuvre longtemps après après sa disparition.

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Le mort était allongé sur lit. C’était un homme âgé, vêtu d’un costume noir, d’une chemise blanche et d’une cravate. Nous délaçâmes ses souliers, puis je le pris par les pieds et le soulevais par les deux jambes, mais celles-ci me glissèrent des mains et retombèrent sur le lit. Le corps entier fut secoué. Nous retirâmes les chaussures, puis, un homme le soutenant sous chaque bras, nous le redressâmes. Il était raide, mais d’une légèreté surprenante, et j’eus l’impression de soulever un mannequin en carton bouillie, comme si son corps était creux, vidé de ses organes. - Cette légèreté est insolite, me dis-je. Puis le mort me parla doucement à l’oreille d’une voix grave. Il me dit quelques mots en allemand que je ne compris pas. Mais je saisis que ces mots étaient issus de l’un de ses romans que j’affectionnais tout particulièrement. Il comprit mon embarras et avec beaucoup de douceur, il me les transmit dans notre langue. J’étais si heureux.

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Était-ce seulement dans un de mes rêves ? Cette nuit là, sur le seuil de ma chambre, un homme vêtu de noir m’observait depuis longtemps déjà. Il ne faisait qu’un avec l’obscurité mais il ne me voulait aucun mal. Pourquoi restait-t-il ainsi immobile ? Pourquoi ne s’approchait-il pas ? Pourquoi n’engageait-il pas la conversation, avait-il peur ? Il ne me semblait pas tout à fait mort, mais pas non plus tout à fait vivant. Croyait-il sincérement que je ne l’avais pas vu ? Je sentais son regard glisser le long de mon dos. Car j’étais couché sur le côté, comme un chien, offrant mon dos à son regard. Nous sommes restés là longtemps, je crois. Il ne se passait rien. Alors je me suis endormi. Étrangement l’impression ressentie cette nuit là, je la retrouvais intégralement écrite le lendemain matin dans le livre que j’étais en train de lire.

26 août 2023
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