Rencontres chez l’habitant

La soirée prévue le 9 janvier ayant été annulée (ou reportée, croisons les doigts), nous réfléchissons à d’autres moyens de poursuivre ce dialogue au sein du quartier et d’inscrire durablement la littérature au cœur du théâtre. Si les gens ne peuvent plus aller au théâtre, nous irons donc chez eux. …¨

Jean-François Munnier, directeur de l’Etoile du Nord, me glisse : "Puisque le théâtre est fermé, pourquoi n’irais-tu pas toi chez les gens ?" Je dois bien admettre que ma première réaction devait être un peu mitigée. Le trac. Pourquoi ? Hein ? Chez qui ? Où ça ? Pour quoi faire ? Quand ? Sept ou huit secondes de réflexion auront néanmoins suffi à me convaincre. Bien évidemment qu’il faut y aller.
Pour cela, un e-mail est envoyé à tous les titulaires de "la carte Voisin Voisine" (carte gratuite permettant aux habitants des 17e et 18e arrondissements de Paris et de la ville de Saint-Ouen de bénéficier de nombreux avantages au théâtre).

C’est avec Jean-François Munnier que j’honore la première invitation de Madame X, un lundi soir. Nous nous retrouvons devant un immeuble de la rue Vauvenargues, à une centaine de mètres du théâtre. Digicode, sonnette, ascenseur. Nous voilà masqués mais généreusement reçus. On devine les sourires derrière les masques, des coupes se remplissent, des visages apparaissant furtivement le temps d’une gorgée. Les gestes barrière sont respectés, la soirée peut commencer. Après une introduction de Jean-François, nous voilà partis pour une heure de conversation sur mon dernier roman, le choix du titre, le choix des personnages, la voix du narrateur, sur les raisons qui m’ont poussé à vouloir aborder certains thèmes, sur les points communs entre mes romans... Mais il est déjà 19h52. Il nous reste huit minutes avant le couvre-feu. Huit minutes avant que nos carrosses ne se transforment en citrouilles. A peine le temps de dire au revoir, à peine le temps d’exprimer ma reconnaissance pour l’accueil. Avant de franchir la porte, un dernier coup de gel hydroalcoolique, l’espace d’une heure, nous aurions presque eu le temps de croire à un retour à une vie normale. Pas de scène de théâtre mais une belle invitation.

Le deuxième rendez-vous est annulé. L’hôte ayant été testé positif à ce fameux virus. Entre-temps, le couvre-feu est avancé à dix-huit heures. Nouvel obstacle, même pas peur : le troisième rendez-vous, devenu donc le deuxième, prévu un lundi à 18h30 est donc décalé au samedi. Il ne peut plus rien nous arriver. Sauf que la météo n’est pas non plus de notre côté. Quelques flocons commencent à tomber. C’est plutôt joli, les Instagrammeurs sont heureux, "un doux manteau de neige recouvre les trottoirs de Montmartre" (la neige est le phénomène météorologique qui semble donner des élans de poésie à portée de main). A treize heures, le doux manteau blanc a des allures de serpillère, je m’apprête à gravir les pentes de la butte. Environ un mètre de neige, je m’arme de piolets et de peaux de bêtes (synthétiques) afin de gravir la face Nord de la Butte Montmartre. Evitant de justesse la course effrénée d’un ours polaire, je parviens à l’angle de la rue Berthe (le lecteur attentif aura noté que l’espace d’un bref instant, je décide de privilégier l’émotion au réalisme) et retrouve enfin Louana Rondini de l’Etoile du Nord qui me retrouve devant la porte. Un escalier étroit, une façade qui se ravale, un accueil chaleureux, des sièges à bonne distance et du thé à bonne température. Des madeleines en hommage à Proust et une conversation qui démarre. Il se trouve que Madame Y travaille pour Le 18e du mois, journal de l’arrondissement. Elle est très au fait de la vie littéraire. Nous parlons des librairies du quartier. La librairie des Abbesses, à deux pas, l’Attrape-Cœurs de l’autre côté de la butte, L’humeur vagabonde à deux pas de l’Etoile du Nord. Nous parlons de ce projet de résidence et de ces rencontres chez l’habitant.

Le quatrième rendez-vous est donc devenu le troisième (sauf si l’on considère qu’un rendez-vous manqué reste malgré tout un rendez-vous, ce qui serait faire montre d’un certain sentimentalisme qui me séduit assez). C’est un samedi. Il n’y a pas de neige, pas de reconfinement (malgré tous les pronostics et les affirmations des gens qui connaissent quelqu’un qui connaît quelqu’un de bien introduit au ministère des Rumeurs). Rendez-vous à 16h chez Madame Z pour une nouvelle conversation chaleureuse. Une rencontre davantage centrée sur l’écriture et les ateliers d’écriture. Madame Z écrit, n’en parle pas trop, s’interroge, m’interroge. L’horloge tourne toujours trop vite. Il faudrait renégocier la durée des minutes.

7 février 2021
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