Christine Jérusalem| Géographies de Jean Echenoz

Il se peut qu’écrire soit dans un rapport essentiel avec les lignes de fuite. Ecrire, c’est tracer des lignes de fuite, qui ne sont pas imaginaires, et qu’on est bien forcé de suivre, parce que l’écriture nous y engage, nous y embarque en réalité. " Gilles Deleuze

Christine Jérusalem / Géographies de Jean Echenoz

La littérature est espace, la littérature interroge l’espace. Elle parcourt des " espèces d’espaces ", sillonne des lieux, traverse des mondes. Elle trace un itinéraire qui trouve son point d’aboutissement dans l’espace de la page. Si l’on veut bien se souvenir que la carte est l’anagramme de la trace, alors on peut considérer que l’écriture est une géographie.

Deux écrivains contemporains l’ont récemment rappelé, chacun à leur manière : Dominique Fourcade, qui a publié un ouvrage significativement intitulé Est-ce que j’peux placer un mot ? et Olivier Rolin qui a titré une conférence sur la langue française Mal placé, déplacé . Si l’écrivain est souvent celui qui transgresse une place sociale, il est aussi celui qui organise un autre espace au croisement du topographique et du narratif.

De cette propension à appréhender la littérature sur le mode de la spatialité témoigne, de façon très forte, l’œuvre de Jean Echenoz . L’écrivain affirme qu’il écrit des romans géographiques. C’est donc une " poétique des sites " échenoziens que l’on tentera de construire ici. A partir de cette mise en place, on constatera que le texte échenozien se caractérise par sa propension à constituer, dans un espace vide, un sujet nomade, marqué par la figure du vacillement et de l’éclatement.

La vacuité des territoires
Le vide s’incarne dans différents lieux inhabités. Île déserte du Méridien de Greenwich, montagne isolée dans Cherokee, vide interstellaire dans Nous Trois. La forme la plus intense du vide s’accomplit dans le paysage du Pôle Nord, ce " désert sidéral ", cet " au-delà dépourvu d’identité puisqu’il ne ressemble à rien tout en n’étant pas le néant ", comme le rappelle Paul Virilio. Le récit de Je m’en vais avance dans une immensité désertique et désolée, où l’infiniment petit s’est résorbé dans le rien : " Tout juste si l’avant-veille encore, un peu plus au sud, on apercevait de temps en temps quelques lichens, une vague bruyère, un bouleau débile ou un saule rampant, un petit pavot Arctique, un cèpe occasionnel, mais à présent plus rien, plus le moindre végétal à perte de vue. " Dans cet univers stérile, les rencontres sont rares : " Ce sont des territoires où ne vient jamais personne ". Port-Radium semble aussi désaffecté. L’hôtel est vide, le gérant muet et les rues désertes. La ville se réduit à des lieux fonctionnels, dispensaire, bureau de poste, supermarché, garage et église, qui ne renvoient à aucune vie humaine.

Les lieux touristiques n’échappent pas à ce sentiment de vacuité. Les paysages traversés par Gloire et Victoire sont des espaces de l’indistinction et de la répétition. Palaces interchangeables des Grandes Blondes ou anonymat des hôtels d’autoroutes dans Un An représentent des lieux de transit impersonnels. Les hôtels impersonnels sont sans personnel comme le " bâtiment sourd-muet " où dort une nuit Victoire. La Bretagne traversée par Kastner dans Les Grandes blondes fournit " un spectacle uniforme de maisons grises éparses " : " peu semblaient habitées, pas mal étaient à vendre ". La plage dans Un An est " une vaste étendue désaffectée, inutile " aussi déserte que celle de Saint-Sébastien dans Je m’en vais. Paris n’échappe pas à cette indétermination. Dans Le Méridien de Greenwich, les rues sont constamment présentées comme désertes : " Peu de magasins étaient ouverts, et, au travers de leurs devantures étroites, s’apercevaient des piles poussiéreuses de petits gâteaux gris ou de petites brochures beiges. Les trottoirs étaient déserts, bordés de portes closes ; de rares voitures roulaient lentement, sans bruit. " Le vide citadin engendre " une sorte de vertige, léger mais inusable, analogue à celui qu’on éprouve en débouchant sur le pont d’un navire en pleine mer, après s’être égaré dans l’obscurité de ses viscères. " Même impression dans Je m’en vais avec " des rues plus vides encore que le métro " ou un XVI° arrondissement " encore plus désert que d’habitude au point que Chardon-Lagache, sous certains angles, offre des points de vue post-nucléaires. "

Ce monde de l’uniformité, du vide et de la béance trouve une ampleur particulière dans les lieux de l’entre-deux, banlieues ou friches industrielles. Les zones indéterminées abondent dans son œuvre fournissant un spectacle monotone : " … au-delà d’accotements gris-vert, des cultures peu variées se développaient sans détail, de rares maisons paraissaient vides, leurs chiens ne tenaient à rien, ces chiens ne savaient même pas ce qu’ils gardaient. Préfaçant la banlieue, quelques premiers hangars ne semblaient rien contenir non plus. " (L’Equipée malaise). Ce sont ce que Marc Augé, dans son Introduction à une anthropologie de la surmodernité, nomme les " non-lieux " : " Les non-lieux, ce sont aussi bien les installations nécessaires à la circulations accélérée des personnes et des biens (voies rapides, échangeurs, aéroports) que les moyens de transports eux-mêmes ou les grands centres commerciaux, ou encore les camps de transit prolongés où sont parqués les réfugiés de la planète. " Le non-lieu représente l’envers du lieu qui, comme l’explique Augé, se " réfère au moins à un événement (qui a lieu), à un mythe (lieu-dit) ou à une histoire (haut-lieu) ". Les non-lieux échenoziens développent un monde de l’entre-deux, oscillant entre deux statuts, deux fonctions, et parfois de façon oxymorique : Victoire aperçoit ainsi une " zone rurale vaguement industrielle " (Un an). Dans Les Grandes Blondes, le monde ne se décide pas entre " l’état de friche et celui de chantier ". Dans Nous trois, Meyer et Mercedes dérivent vers un " bled semi-rural du nom d’Eyzin-Pinet ", vidé de toute présence humaine. Dans le court texte consacré au quartier de Gerland, à Lyon, la forme géographique du triangle a du mal à contenir un territoire qui s’avère indécis : " Il me paraissait flou, poreux, frangé, dilué : même les jours suivants, en examinant les plans, j’hésiterais à me prononcer sur son allure, son en-deçà et son au-delà. " Significativement, le triangle est appréhendé au début du texte comme une " coquille vide " et même une " coquille pleine de coquilles vides ".

Les non-lieux sont sans identité : dans la nuit les longues constructions à loyer modéré se ressemblent : " On devait être vers la Courneuve ou bien vers Bagnolet, ou bien vers Levallois-Perret. Il y eut un panneau : on était du côté des Lilas " (Cherokee). Ils reflètent la réalité d’une mutation contemporaine : on sait que l’opposition du rural et de l’urbain est aujourd’hui rendue caduque par l’immensité de certaines banlieues. Ces zones de transit tracent une géographie atopique où l’enracinement est impossible. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner la situation du personnage principal dans le premier et le dernier roman de l’écrivain. Dans Le Méridien, Byron Caine est d’un détachement extrême :
Ses inventions et Rachel exceptées, Byron Caine existait à vrai dire sans attache sensible, sans ancrage particulier. Ne s’attardant ni aux objets ni aux décors, il traversait l’espace avec une inattention sincère. Jamais il n’avait pu acquérir la notion de domiciliation, se mouler à l’impératif civique du lieu privé, intime, adhésif. Du Patapsco natal au Pacifique actuel, il n’avait jamais cessé de neutraliser obstinément ses logements successifs, dans une lutte à mort contre la personnalisation — à l’exception de la clinique d’Oil City où cet effort lui avait été épargné, espace immuable pour sujets interchangeables, espace neutre par avance et par principe, et peut-être, abominablement, inavouablement, espace idéal.

Dans Je m’en vais, les logements successifs de Ferrer illustrent à leur manière cet impossible enracinement : Ferrer passe du pavillon de Corentin-Celton à l’appartement de Laurence vers la place de la Madeleine, puis émigre dans son atelier, " un terrier de célibataire, une planque de fugitif aux abois, un legs désaffecté pendant que les héritiers s’empoignent ", pour emménager ensuite rue d’Amsterdam, tout en achetant un appartement dans le VIII° arrondissement, qu’il n’habitera peut-être pas.

Désorientations
Car les personnages de Jean Echenoz sont tous saisis d’une sorte de frénésie déambulatoire. Parcours, errance, déplacement sont autant de termes qui peuvent désigner leur mobilité incessante. Les personnages se promènent rarement mais courent d’un bout à l’autre de la planète ou de la France. Le flâneur a cédé la place au passant, " passant passif " pour reprendre l’expression de Nous trois. Ces trajets trouvent une justification diégétique à travers le thème de la course-poursuite qui sert de fer de lance à de nombreuses intrigues. Mais l’intérêt de l’écrivain pour le mouvement circulatoire dépasse la simple nécessité fictionnelle. En travaillant sur la multiplicité des lieux, sur leur éventuel ajustement ou opposition, sur la corrélation entre les départs, les arrivées et les croisements des personnages, sur la vitesse ou l’enlisement du trajet, Jean Echenoz exploite une chronotopie tout à fait particulière. Il convient d’abord de mesurer, dans tous les sens du terme, les déplacements des personnages. Ceux-ci peuvent paraître échevelés. Il est possible toutefois de les circonscrire à l’aide de figures géométriques. Chaque trajet épouse une forme géométrique aisément repérable. Dans le grand couloir de circulation qu’est l’œuvre, des configurations exploitant toutes les dimensions spatiales (horizontales et verticales, longitudes et latitudes) peuvent être mises au jour.

Les nombreux allers-retours présents dans L’Equipée malaise, Cherokee, Nous Trois, Les Grandes Blondes et plus accessoirement dans Un An imposent avec évidence l’image du cercle. On notera qu’à chaque fois, le temps passé dans le pays étranger est moins important que le temps du trajet lui-même. Dans L’Equipée malaise, les trajets circulaires entre la France et la Malaisie illustrent le fait que les personnages tournent en rond. Les nombreuses courses-poursuites dans Cherokee soldent à chaque fois l’inanité du déplacement, à l’image du vol en avion que Gibbs " offre " à Georges Chave, trajet aussi bien circulaire qu’inutile :

Nous tournons, dit Ferguson Gibbs, c’est Paris. Nous tournons autour de Paris.
Pourquoi ? s’inquiéta Georges.
Pour rien, reconnut Gibbs. D’ailleurs on va se poser maintenant.

Dans Nous Trois le double parcours de Meyer, à la fois horizontal, de Marseille à Paris, et vertical, de la terre au ciel, prend davantage valeur de gesticulation que d’initiation. De même, Victoire dans Un An est enfermée dans un trajet en boucle : anecdotiquement par les allers-retours entre la France et l’Espagne en compagnie de Gérard et plus profondément par l’errance qui la conduit de Paris au Sud-Ouest de la France puis à nouveau à Paris. Dans ce court récit, l’image du cercle s’impose définitivement grâce à la structure circulaire du roman. Ces déplacements bouclés témoignent d’une logique du surplace, de la répétition, cristallisant les échecs des personnages. L’impression de piétinement est particulièrement présente dans les Grandes Blondes marqué par les nombreux allers-retours des détectives qui sont traités chaque fois avec désinvolture et en raccourci. Le traitement en ellipse est inversement proportionnel à la distance parcourue. Une phrase suffit à exprimer un espace-temps considérable, hyperbolisé dans le grand écart des fuseaux horaires produisant un " double décalage à cent quatre-vingts degrés ". Le déplacement de Ferrer jusqu’au Pôle Nord dans Je m’en vais illustre différemment cette circularité. Point d’aller-retour réduisant à zéro le voyage à l’étranger mais au contraire un itinéraire qui se laisse décrire même s’il ménage au bout du compte peu d’événements et peu de surprises. La figure du cercle cependant fait retour d’une double façon. D’abord de manière référentielle : le cercle, c’est avant tout le cercle polaire. Ensuite de manière scripturale : comme dans Un An, la composition romanesque est bouclée sur elle-même. Le cercle ne signe pas ici l’échec du héros : le trésor, qui motive l’expédition dans le Pôle Nord, sera découvert. En revanche, il signale peut-être la monotonie et l’inertie dramatique. La route est devenue routine.

A rebours de la ligne circulaire se trouvent les figures anguleuses. Les lignes brisées caractérisent un certain nombre de trajets chaotiques. Dans Les Grandes blondes, Gloire voyage " sans projet ni méthode ". Un an impose la figure du zigzag. Victoire ne décide rien et se laisse ballotter par son destin. Elle s’en remet au hasard : " Histoire de brouiller les pistes, sans trop savoir pour qui, trois fois Victoire tira au sort ces destinations puis, comme chaque fois sortait Auch, pour à ses propres yeux les brouiller mieux encore, elle choisit saint-Jean-de-Luz. " Prise en auto-stop, elle se laisse conduire, dans tous les sens du terme : " Cela produirait une errance en dents de scie, pas très contrôlée : s’il se pourrait qu’on fît quelque détour pour l’avancer, il arriverait aussi qu’elle dût s’adapter à une destination, ceci équilibrant cela. Son itinéraire ne présenterait ainsi guère de cohérence, s’apparentant plutôt au trajet brisé d’une mouche enclose dans une chambre. " A l’acmé de la crise, sans carte routière, elle finit par s’orienter " n’importe comment, au gré des panneaux indicateurs et sans but précis. " C’est également l’absence de sens qui est mise en évidence dans le parcours de Kastner :
Dressant le circuit des jours à venir, Jean-Claude Kastner fit se joindre au crayon rouge, à même la carte routière, les agglomérations qu’il faudrait visiter. Une fois celles-ci reliées par une ligne brisée, comme dans les jeux des magazines, le parcours ne dessinait pas de figure identifiable et cela déçut distraitement Kastner. (Les grandes blondes)

Que le chemin soit circulaire ou en zigzag, il semble caractéristique d’une désorientation du héros. En ce sens, il développe et radicalise l’errance de Frédéric Moreau dans L’Education sentimentale. La comparaison n’est pas fortuite. On se souvient que Jean Echenoz, dans Je m’en vais, a transposé la célèbre ellipse flaubertienne narrant les voyages de Frédéric. Cette minuscule transposition établit une similitude entre les parcours des personnages. Chez Echenoz comme chez Flaubert, les trajets sont menacés par la vacuité et l’inanité. Et le commentaire de L’Education, qu’Henri Mitterand propose, pourrait tout aussi bien s’appliquer aux héros échenoziens :
[...] dans L’Education sentimentale, les errances du personnage principal demeurent indifférentes à sa destinée, ou plutôt sa destinée se confond avec ses errances et s’y dissout sans que l’une de celle-ci prenne sens et valeur de son opposition à une autre. Ce qui est une manière de donner dans un roman une importance absolue, et non relative, à l’espace, mais à l’espace comme donnée immédiate d’une pure mobilité, sans origine ni terme, sans arrêt, ni passage, ni direction. Le dernier chapitre du roman est très clair, à cet égard, dans la totale imperfectivité de ses verbes de déplacement : " il voyagea. Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues. Il revint. " Et lorsque Frédéric, devant son ami Deslauriers, tirera leçon des années écoulées, pour une fois en toute lucidité, son mot vaudra pour le modèle spatio-narratif du roman autant que pour sa propre vie : " Et ils résumèrent leur vie. Ils l’avaient manquée tous les deux, celui qui avait rêvé l’amour, celui qui avait rêvé le pouvoir. Quelle en était la raison ? — C’est peut-être le défaut de la ligne droite, dit Frédéric. "

Ce défaut de la ligne droite caractérise aussi les personnages d’Echenoz. Paradoxalement, cette absence de trajet rectiligne est supplantée par une course à la vitesse. Là réside la particularité du chronotope de ces romans. Si les personnages n’empruntent pas une ligne directe pour se rendre d’un point à un autre, ils ont du mal à supporter la lenteur. Dans Les Grandes blondes, le thème est décliné sous différentes formes. Les personnages endurent pesamment le temps immobile :
Empêché d’atteindre sa vitesse habituelle, Boccara prendrait son mal en patience : bras sur le volant, il s’exhortait au calme bien qu’irrité par cette lenteur, par l’hypocrisie de cette lenteur qui feint, majordome de la mort, d’ignorer la brièveté de l’existence.

Même expérience pour Béliard en Australie et pour Gloire en Normandie. Les journées sont trop longues :
D’une lenteur décourageante, multipliée par elle-même, pesant au seuil de l’immobilité. Lenteur de l’herbe qui pousse, lenteur d’aï ou de glu. S’il est des mots dont le sens détermine la carrière, la lenteur est sans doute au premier rang de ceux-ci : si lente qu’elle ne s’est pas encore trouvé le moindre synonyme alors que la vitesse, qui ne perd pas une minute, en a déjà plein.

Ferrer dans Je m’en vais éprouve également cet ennui qui étire le temps. L’avancée narrative piétine dans la répétition d’un même indicateur chronologique, la journée du dimanche. La vie ressemble à une salle d’attente où le temps tout à la fois s’étire poisseusement et se fractionne en instants dénués de sens. Si l’espace se mesure en termes de lignes, le temps, lui, s’appréhende comme une série de points sans liens :
Il y avait un moyen, cependant, pour combattre l’ennui : couper le temps, comme un saucisson. Le diviser en jours (J moins 7, J moins 6, J moins cinq avant l’arrivée) mais aussi en heures (j’éprouve une petite faim : H moins 2 avant le déjeuner), en minutes ( j’ai pris mon café : normalement M moins 7 ou 8 avant de me rendre aux toilettes) et même en secondes (je fais le tour de la passerelle : S moins trente 30 approximativement ; entre le temps de décider de faire ce tour et le temps d’y réfléchir après, je sauve une minute).

Rien de plus terrible pour le héros échenozien que l’ennui, résumé laconiquement dans ce petit octosyllabe : " Le temps s’étire, le vide menace " (L’Equipée malaise). Immobilité temporelle et mobilité spatiale : telles sont les marques distinctives du chronotope de l’écriture d’Echenoz. La seconde semble conjurer la première et enrôle les êtres et les choses dans une mobilité tous azimuts. " Un peu de vitesse, allons, pour se changer les idées ", déclare le narrateur de Nous trois. Cette frénésie déambulatoire transforme le trajet en trajectoire, les personnages en vecteurs et les lieux en figures géométriques. On comprend mieux pourquoi l’espace échenozien possède l’aridité d’une surface mathématique abstraite : en déplaçant la fixité du paysage, la vitesse gomme ses particularités. Comme le rappelle Paul Virilio, le paysage aperçu n’est plus la même : " La vitesse traite la vision comme matière première ; avec l’accélération, voyager c’est comme filmer, produire moins des images que des traces mnémoniques nouvelles, invraisemblables, surnaturelles. " Ces trajectoires chaotiques ancrées dans une géographie atopique s’imposent comme l’expression de la condition postmoderne, décrite par Jean-François Lyotard. L’homme, dans l’œuvre d’Echenoz, vit " la dissolution du lien social et le passage des collectivités sociales à l’état d’une masse d’atomes individuels lancés dans un absurde mouvement brownien. "

Des trajectoires vides
La vacuité extérieure dans laquelle s’enroule le roman est le miroir de l’état de vacance où se trouvent les personnages. Le voyage au bout de l’ennui est toujours un voyage solitaire. La frontière qui dans les récits de voyages du XIX° siècle matérialisait la limite d’un nouveau monde n’existe plus : la frontière n’est qu’un " pointillé " dans Un an, et la vitesse des moyens de locomotion, en annulant le temps et l’espace, supprime la question de la limite. Le titre de la chanson enregistrée par Gloire est à ce sujet significatif : " On ne part pas " même si les personnages passent leur temps à ça, comme le suggère l’intitulé du roman Je m’en vais. La circularité des trajets illustre également ce surplace et ce piétinement dans le monde inerte de la répétition. Le voyage, comme l’explique Marc Augé est désormais un " voyage impossible " : " L’impossible voyage, c’est celui que nous ne ferons jamais plus, celui qui aurait pu nous faire découvrir des paysages nouveaux et d’autres hommes, qui aurait pu nous ouvrir des espaces de rencontres. "
Il n’y a rien à voir, soulignent sans cesse les personnages : " Tu n’auras pas vu grand-chose du pays, finalement ", déclare le duc Pons à son ami Pontiac après son passage en Malaisie. Même déconvenue pour Gloire en Australie : " Gloire ne verrait rien là-bas nul kangourou ni koala ni rien. Juste un soir, dans un caniveau d’Exhibition Street, elle apercevrait une dépouille d’opossum gisant entre le pare-chocs avant d’une Holden Commodore et le pare-chocs arrière d’une Holden Apollo." Le voyage désormais n’apprend rien au héros. Il n’est plus ce " Bildungroman " qui transformait moralement et psychologiquement le personnage.Le touriste illustre particulièrement le faux plaisir qu’est devenu le voyage. Il n’est plus qu’un " un candidat au voyage " (Un an). Boccara dans Les Grandes blondes est promu touriste malgré lui, sélectionné pour une série de croisières parce qu’il est le millionième passager sur un vol. Mais le lecteur ne saura rien de ses pérégrinations. Gloire ou Baumgartner sont de faux touristes. Personnages en fuite, les protagonistes des Grandes blondes ou de Je m’en vais affectent cependant de se comporter en vacanciers. Leur attitude est assez représentative de l’hédonisme superficiel procuré par les loisirs liés au voyage. Gloire noue des liens aussi rapidement qu’elle les défait, vivant dans une durée " faite d’instants sans durée ". Cette absence de perspective temporelle l’inscrit dans ce mouvement perpétuel décrit par Paul Virilio : " N’est-ce pas aussi le désir de cette fête essentiellement ressentie comme sans lendemain qui a poussé des générations vers le cosmopolitisme des trains et des transatlantiques, vers les palaces internationaux et les temples du cinéma, avant de les entraîner vers les aéroports, avant que l’on ne vende des voyages en libre-service dans les supermarchés ? " Le tourisme de Baumgartner est encore plus solitaire. Ses activités s’enchaînent mécaniquement : " … les moindres écomusées, curiosités, panoramas et points de vue situés dans le coin inférieur gauche de la carte de France n’ont plus de secrets pour lui. " (Je m’en vais). On voit comment ici la découverte d’une région perd tout relief, à l’image de cette France abstraite, réduite à une perspective cartographique. La carte géographique se mue en carte postale énumérant sans les décrire les points de passages obligés. Baumgartner roule ainsi au hasard sans regarder le paysage : " Baumgartner, qui va chercher apparemment la discrétion, qui semblera vouloir passer inaperçu, prendra soin de ne parler qu’avec le moins de monde possible mais, ne serait-ce que pour ne pas perdre l’usage de la parole, il continuera d’appeler chaque soir sa femme et le Flétan tous les quatre ou cinq jours. Mais à part ça, que ce soit au Clos Séphyr (Bayonne), à la résidence des Meulières (près d’Anglet) ou à l’hôtel Albizzia (banlieue de Saint-Jean-de-Luz), jamais il n’approchera personne. " Pas la moindre connaissance, pas la moindre découverte n’ont ici leur place. Le touriste, d’hôtel en hôtel, consomme sans contempler. Il achète des cartes postales, comme Meyer dans Nous trois qui représentent un " panorama " sans lien avec la réalité.

Aux faux touristes succèdent les faux explorateurs que sont Ferrer dans Je m’en vais, Paul et le duc Pons dans L’Equipée malaise, Meyer et DeMilo dans Nous Trois ou encore les robinsons postmodernes de l’île du Méridien. Les personnages n’ont d’abord guère envie de connaître, sinon l’aventure, du moins le pays étranger. La forêt malaise est présentée comme un des rares territoires inexplorés : " Presque tout de suite on était dans le giron de la forêt archaïque, tout à fait primitive, vierge de défrichements et de brûlis, intouchée par les chercheurs d’étain. " (L’Equipée malaise). Mais cette terra incognita ne suscite pas d’intérêt chez le personnage : " Jean-François Pons ne s’y aventurait plus qu’exceptionnellement, au rare gré de la retrouvaille d’un porc perdu, d’une épouse de journalier. Mais ce genre d’expédition l’enfiévrait moins que dans les premiers temps, il avait perdu l’habitude, maintenant il rechignait assez de s’y trouver contraint. " Les faux explorateurs n’échappent pas à l’ennui et à la solitude. Sur le Boustrophédon il ne se passe " rien de remarquable, rien de notable " : " chaque soir, sur le livre de bord, les officiers contresignaient le néant ". Plus que l’ennui, Ferrer éprouve un sentiment de solitude dès l’embarquement en avion :
A deux cents comprimés dans une carlingue, on est en effet isolé comme jamais. Cette solitude passive, pense-t-on, serait peut-être l’occasion de faire le point sur sa vie, de réfléchir au sens des choses qui la produisent. On essaie un moment, on se force un peu mais on n’insiste pas longtemps devant le monologue décousu qui en résulte [...] (Je m’en vais).

Plus tard, lors de son voyage, il parlera avec peu de personnes. Le silence est omniprésent au Pôle Nord, que ce soit avec l’équipage du Des Groseillers, avec les guides (l’un d’eux ne s’exprimant que par sourires) ou avec le gérant muet de l’hôtel de Port-Radium. Comme Gloire, il fait des rencontres passagères aussi vite nouées que dénouées. La parodie de rite initiatique représente sans doute la quintessence de la vacuité du voyage : le rite est significativement présenté comme une menace, un acte intimidant auquel Ferrer se déroberait volontiers. Il ne peut échapper à ce qui se révélera une mascarade. Les personnages sont déguisés de façon grotesque : le chef steward interprète Neptune " couronne, toge et trident, chaussé de palmes de plongeur ". Avec ses " innocentes brimades " (Ferrer doit se prosterner, répéter " diverses niaiseries ", et récupérer un trousseau de clefs avec les dents au fond d’une bassine de ketchup), l’initiation ressemble davantage à un bizutage. Le franchissement de la frontière n’est plus transgressif. L’explorateur n’explore rien et apprend peu de choses. L’apprentissage lié au voyage a perdu sa dimension transcendante, à l’image du Centre spirituel œcuménique qui encadre le déplacement de Ferrer, vidé de toute substance métaphysique, lieu qui permet simplement de " calmement ne pas penser à grand-chose ". Dans ces sites hors de l’espace-temps (Pôle Nord, vide interstellaire, Centre spirituel, île du Méridien), la conscience paraît incapable de saisir le réel, de l’explorer et d’en faire un moyen de connaissance.

L’expression la plus intense de la solitude s’incarne dans le personnage de Victoire, dans Un An. A la fin de son errance, elle représente la figure fantomatique de " l’automate ambulatoire ". C’est ainsi que Charcot avait baptisé les vagabonds, comme le rappelle Jean-Claude Beaune dans Le vagabond et la machine . La déambulation machinale de Victoire est bien l’expression d’une aliénation. La vacuité du paysage impose avec force le tragique d’un personnage à la dérive. Le vide mental de Victoire se manifeste à plusieurs reprises sous la forme d’amnésies. Cette défaillance de la conscience se double d’une incapacité sinon à agir, du moins à décider. Etrange destinée que celle de choisir au hasard sa destination. La force d’aveuglement de Victoire la transforme ainsi en personnage-machine, mimant la folie d’une " personne retardée ", sans que l’on puisse déterminer où se situe la frontière entre le normal et le pathologique. Automate ambulatoire, elle est absente à elle-même et au monde. Un An représente à cet égard la figure inversée, détrônisante, du roman d’éducation. Ce n’est pas un roman de formation mais de déformation. L’altérité contenue dans le voyage est devenue altération. Bruno Blanckeman note à ce sujet : " Le récit aligne les épisodes de l’errance et diversifie leur détermination, leur ressort, leur cadre géographique, leur effet cumulé, comme dans un Bildungsroman à l’envers où le personnage n’apprendrait plus à être mais apprendrait à n’être plus. " Elargissant le constat à l’ensemble des romans, le critique parle de personnages " légèrement déphasés, à la traîne de leur propre vie " et qui " peinent à imposer leurs marques " : " Jean Echenoz est par excellence l’écrivain des identités tièdes, fréquentes en des temps d’incertitudes. Les symboliques habilement relayées de l’évaporation, de l’écran, du maquillage, du reflet ancrent dans Les Grandes blondes la phobie d’un effacement d’être. "

Les personnages de Jean Echenoz sont à la dérive. La fuite du Sujet ne cesse de se décliner sur divers modes. Si le sujet fait retour dans la nouvelle littérature narrative identifiée par Dominique Viard , c’est bien sur le mode de la dislocation. Cette dissolution de l’être représente le point nodal des romans d’Echenoz. Dans un entretien avec Olivier Bessard-Banquy, l’écrivain confirme l’importance de ce thème :
La question centrale de mes livres, au fond, c’est la disparition. Les premiers livres tournaient autour de la disparition d’un objet ou d’une personne, d’une femme en particulier. C’était la question de l’homme abandonné, en somme. Dans les derniers romans, Les Grandes Blondes et Un an, la problématique est en fait inversée : au lieu de suivre l’homme abandonné qui raisonne en fonction d’une absence, je préfère m’intéresser en premier lieu à l’abandonnante, à la femme qui disparaît. Mais ce sont là au bout du compte les deux faces d’une même réalité.

On ne saurait cependant se satisfaire d’une lecture ethnologique aussi univoque et pessimiste. D’abord parce que l’ironie, si caractéristique de ces romans, impose au lecteur une distance critique. Les références au vide sont toujours susceptibles d’être l’objet d’un renversement parodique comme en témoigne la série d’œuvres " blanches " bouffonnes dans Je m’en vais. Ensuite, parce que la géographie échenozienne exploite une topographie particulière qui joue volontiers sur l’entre-deux. Ces zones intermédiaires prennent des formes multiples. Ce peut être la plage, cette " frange de sable noyé, au statut incertain, semblable à une sorte de no man’s land, de zone frontalière que l’océan aurait disputée à la terre " (Le Méridien de Greenwich). Ce sont aussi les frontières (le poste de Béhobie dans Je m’en vais), les aéroports (l’aéroport de Roissy dans Je m’en vais), les aires d’autoroute (dans Cherokee), les centres commerciaux (dans Lac et Nous trois ), les lieux de transaction et de transformation (le marché d’intérêt national dans Lac). L’entre-deux, par son instabilité permanente, par les possibilités d’échanges et de télescopages qu’il contient, constitue une topique de l’écriture échenozienne. Il nous semble assez représentatif de l’esthétique de " l’indécidabilité " propre à cette fin de vingtième siècle. L’étude des chantiers, qui hantent l’œuvre avec une fréquence remarquable, est particulièrement révélatrice de cette pratique de l’équivoque. Ces chantiers paraissent investis dans un premier temps d’une valeur négative. On démolit plus qu’on ne construit dans les romans d’Echenoz. Dans Le Méridien de Greenwich, Selmer a rendez-vous dans un immeuble dont la destruction est imminente : " un immeuble lézardé, isolé au fond d’un terrain vague, près d’une usine désaffectée, un peu après la sortie de Nanterre. L’immeuble datait d’autour de 1900, paraissait inhabité, au seuil de la ruine, et voué à une démolition imminente. On avait déjà comblé les fenêtres des premiers étages avec des briques engluées de ciment encore frais. " Dans Je m’en vais, même figure de l’entropie : " Du côté pair de la rue de Suez, la plupart des portes et fenêtres de vieux immeubles dépressifs sont aveuglés par des moellons disposés en opus incertum, signe d’expropriation avant l’anéantissement. " La frontière espagnole au poste de Béhobie a l’air d’un immense chantier (stores effondrés, vitres souillées, gravats, détritus, attente de l’arrêté de ruine immobilière et économique du site). Dans Lac, les chantiers semblent dévorer l’espace, prêts à effacer des zones entières :
Plus loin, des édifices d’usages divers s’étouffent les uns les autres, entremêlés de chantiers incessants qui ont l’air de menacer par contagion la totalité du secteur. Ainsi toute construction vivote-elle dans l’attente de sa mise à bas — même la plus éclatante des maisons de faïence, serrée parmi des entrepôts désuets, paraît malade et s’étiole dans leur ombre sous l’effet d’une erreur judiciaire.

Ces quelques exemples illustrent avec éclat l’irréversible évolution d’un monde qui s’auto-détruit et dont on peut trouver dans l’œuvre trois manifestations fortes (explosion du palais dans Le Méridien de Greenwich, destruction de Marseille dans Nous trois et démolition d’un immeuble dans L’Occupation des sols). Prolongeant ce constat, on notera la description très fréquente des déchets qui peuplent le paysage échenozien. La ville, particulièrement, est le lieu de l’usure et de l’ordure. Le titre, L’Occupation des sols, a valeur programmatique, les sols étant surtout occupés par le déchet. La destruction d’un édifice conduit moins à des ruines qu’à la prolifération de détritus : " Négligence ou manœuvre, on laissait l’espace dépérir. Les choses vertes s’y raréfièrent au profit de résidus bruns jonchant une boue d’où saillirent des ferrailles aux arêtes menaçantes, tendues vers l’usager comme les griffes du tétanos. " Le canal devant l’immeuble du personnage principal est un réservoir de rebuts qui apparaissent au moment de la vidange :
[...] trop peu d’armes du crime se trouvaient là, les seuls squelettes étant des armatures de chaises en fer, des carcasses de cyclomoteurs. Sinon cela consistait en jantes et pneus disjoints, pots d’échappement, guidons ; la proportion de bouteilles vides semblait normale, en revanche une multitude de chariots d’hypermarchés rivaux déconcertait. Constellé d’escargots stercoraires, tout cela se vautrait dans la vase que de gros tuyaux pompaient mollement sous leurs anneaux gluants, lâchant d’éventuels bruits de siphon.

Cet encombrement de détritus dans un si court récit étonne. Il offre une concentration de ce qui sera distillé dans d’autres récits : maisons démolies à Béhobie cachant mal les " gravats et les détritus " (Je m’en vais), voitures désossées dans un terrain vague (Cherokee), carcasses de viande démembrées et jetées dans de hauts conteneurs (Lac), plages gardant les vestiges dérisoires des étés précédents (Nous trois, Un an). L’espace interplanétaire lui-même devient poubelle de l’histoire, avec ses satellites si peu technologiques en forme de " tam-tam, d’oursin, de lustre 1950 " :
Les flambants neufs luisaient de tout leur cuivre mais d’autres sentaient la fin de carrière, certains hors d’état, électroniquement morts, d’aucuns totalement disloqués. Puis d’habituels débris traînaient hors circuit, sur les bas-côtés, pièces détachées de générateur solaire, fragments de volets thermiques, tronçons d’antennes, une fois même un gros gant. (Nous trois)

On voit comment la description, après une amorce euphorique, se disloque dans l’énumération d’objets marqués par la fracture et la brisure. L’espace céleste ne laisse en héritage que la plus banale des brocantes. Pourtant ce sont ces restes, ces rebuts, qui témoignent d’un passé. L’écrivain est bien un " chiffonnier de l’histoire " (Benjamin) qui accueille dans son œuvre ce qui était laissé à l’abandon. Il donne à ces restes l’occasion d’être la trace d’une émotion ou, plus simplement, l’empreinte d’une présence humaine. Telle façade urbaine devient dès lors non plus la platitude oublieuse de notre modernité mais au contraire la marque d’une existence. La mémoire n’apparaît plus dans la plénitude d’autrefois mais les reliquats architecturaux peuvent être considérés comme de modernes reliques et la surface plane peut se révéler un fabuleux palimpseste :
Sur les façades exsangues on distinguait parfois, pot de fleur ou linge étendu, l’indice de l’eau, signe de vie, s’évaporant du linge en irriguant la fleur. D’autres ne respiraient plus qu’à peine, vieilles enveloppes affranchies de publicités peintes cinquante ans plus tôt, bandages herniaires et phosphatines fantomatiques. (Les Grandes blondes)

Le chantier vaut ainsi pour sa capacité à révéler les vestiges dérisoires d’un passé qui s’accroche aux murs :
De plus ou moins tièdes intimités passées par ces murs, puis expropriées, ne reste que cet écorché d’inaccessibles carrés aux couleurs déchues, exposés au froid, au vent, à la vue de tous, et que Susy décrypte en les regardant, reconstituant des biographies d’insectes — depuis le niveau du sol on peut deviner l’ancien emplacement d’un lit à deux places ou d’un évier, d’une chasse d’eau, d’un grand cadre ovale ; parfois dans le carrelage d’une salle de bains reste enchâssé un porte-savon intact, contenant un reliquat de pluie mousseuse.(Lac)

Le chantier est moins la trace d’un monde en devenir que l’empreinte de vies humaines anonymes. L’écriture en fournit des marques, aussi menues et dérisoires que le porte-savon mentionné dans la description. Elle restitue les traces d’une vie humaine significativement diminuée en " biographie d’insecte ". A sa manière, Jean Echenoz se fait le porte-parole de ces " vies minuscules " autrement racontées par Pierre Michon. Vies écorchées aux couleurs déchues mais dans lesquelles s’irise la pluie mousseuse de l’écriture. Dans les entretiens avec Claire Parnet, Gilles Deleuze définit en ces termes la littérature : " Il se peut qu’écrire soit dans un rapport essentiel avec les lignes de fuite. Ecrire, c’est tracer des lignes de fuite, qui ne sont pas imaginaires, et qu’on est bien forcé de suivre, parce que l’écriture nous y engage, nous y embarque en réalité. " Ce sont ces lignes de fuite qui cherchent à engager une vraie rupture que l’on retrouve dans les romans géographiques de Jean Echenoz.

Agrégée de lettres Modernes, Christine Jérusalem enseigne dans un collège de Lyon. A soutenu en 2000 une thèse consacrée à l’œuvre de Jean Echenoz sous la direction de Jean-Bernard Vray, Equivoque et fragmentation : l’esthétique de la disparition dans l’œuvre de Jean Echenoz. Prépare un essai consacré à cet écrivain. S’intéresse à différents auteurs contemporains et a publié des articles sur Jacques Roubaud, Patrick Modiano, " l’Ecole de Minuit ". Se passionne pour les questions de géographie urbaine dans la littérature d’aujourd’hui et pour les rapports texte/image (peinture, photographie, cinéma).

13 mars 2001
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