Eugène Durif vous salue bien

Eugène Durif est un de nos principaux auteurs dramatiques, de ceux pour qui le travail naît d’une implication permanente dans une compagnie.

Au Rond-Point,, avec Cette fois sans moi, dans une mise en scène de Karelle Prugnaud, il est lui-même sur scène, aux limites de la performance, utilisant musique et vidéo.

En attendant publication, il nous fait l’amitié de nous confier deux extraits du texte...

à lire sur remue.net : de la rétention du vivant, Eugène Durif s’exprimait dans Mouvement sur sa conception du théâtre vivant. Et page Eugène Durif de theatre-contemporain.net.

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(...)
« Dire la vérité, ça ressemble à quoi ?



Tout s’en va, tout nous quitte, et nous nous accrochons à des petits morceaux de souvenirs, à ce qui s’est enfui et que nous avons l’illusion de faire revivre fugitivement

On peut toujours en rire

Le rire du dépressif résonne toujours drôlement

Hé, tu bouges encore toi ?

Qu’est-ce qui remue encore en toi ?

A part la mort, qu’est-ce qui pourrait encore te guérir ?

Dans un autre rêve, à quatre pattes, l’homme, réduit à rien, fixe le sol. La femme s’approche, arrache le masque de son visage

Et elle que je serre encore de toutes mes forces

Aurons-nous assez de nos mains pour

prendre toutes celles de l’autre ?

Dans l’étreinte, nous inventons d’autres mots,

que l’aube ne peut défaire tout à fait

et parfois ne les reconnaissons pas

au matin comme nôtres.

« C’est aujourd’hui dimanche », en écho, profusion de « roses blanches ». (il fredonne la chanson de Berthe Silva et il commence à chanter la complainte de Damia, s’interrompt brusquement et crie)

HE, TOI, LA BELLE AU BOIS DORMANT, EST-CE QUE TU VAS FINIR PAR TE REVEILLER UN BEAU MATIN ?

(il reprend)

"Sombre dimanche les bras tout chargés de fleurs"

ce que chantait la grand-mère, quand elle tuait les lapins,

un bon coup derrière la tête,

le coup du père machin,

l’oeil arraché qui pend,

la peau dépiautée, on tire un coup sec dessus,

l’écorché retourné comme un gant,

chair toute rose, peau de lapin,

(en écho : peau de lapin, lapin peau

peau de lapin, lapin peau)

arrachée d’un coup sec,se balance,

pendue par les pieds,

l’homme en bleu à côté bêche le jardin,

retourne la terre à grands coups,

"sombre dimanche les bras tout chargés

de fleurs", il n’a pas senti sa douleur, ne l’a pas vu venir,

j’ai la main, pour les petits chats, c’est à l’éther , ou dans un sac

à coups de bâton, une sale bouillie, le lapin il faut un sacré

tour de main, l’homme en bleu

rit en bêchant le jardin, sûr que la main tu l’as,

tu l’as pas perdu, les poules courent ,cou coupé,

laissent des plumes de poussin sur le grillage,

"sombres dimanches, les bras tout chargés de fleurs"

La première fois, je n’arrive pas à me souvenir...

Dans ma rue, on crie, une lumière

sur les murs crevassés, le ciel est gris,

je lis les faits-divers

des journaux du soir qui tombent des mains.

Toi toute entière dans les rues d’une ville

que je ne connais pas, je te suivrai pas à pas,

il me vient un calme oublié, je te serre en douce,

une image, vite, avant qu’elle ne devienne cendre

la fixer et te saisir,

découvrir le haut nu de ton épaule,

entre deux, entre chien et loup,

entre nous, entre la terre et nous,

entre ce temps qui vient et que je ne connais plus

et celui passé où nous avons parlé chassant le froid

du bout de nos lèvres, mêlant nos buées

comme on le fait du sang, frères et soeurs.


adresse à la Camuse

La lugubre scabreuse dans les bronches me souffle

elle me fait, la gueuse, pleurer avril en mai

exhibe la niqueuse sous ses robes et ramages

lorsqu’elle se retrousse du temps tous les outrages

La gueuse dessus moi fait valser sa faux

de coups en vaches et de brinqueballements d’os.

Et la mort à coup sûr me touche de sa morsure

Seul en mon linceul me laissera-t-elle seul


A l’oreille sussureuse vient me faire l’article

et pour elle supplier que je fasse des vers

me fait mine terreuse d’aguicheurs clins d’yeux

veut que vite je pose ma chique , casse ma pipe

que j’avale illico de naissance le bulletin

que je m’habille pour elle de tenue de sapin

Et la mort à coup sûr me touche de sa morsure

seul en mon linceul me laissera-t-elle seul


loin d’eux loin du coeur reste les yeux pour pleurer

chaque mot couac ultime c’est mon chant du cygne

et chaque mouvement ma danse macabée

l’arme passée à gauche au moindre pas de côté

avant de me coucher boulevard des allongés

sur le plancher des vaches je m’en veux sautiller

Et la mort à coup sûr me touche de sa morsure

seul en mon linceul me laissera-t-elle seul



le cercan m’enserre et le crabe s’époumonne

il prend ses aises chez lui chez moi at home

le mélomane malin dessus m’a mis la main

la faucheuse ricaneuse à la trace me suit

elle coupe l’herbe sous mon pied, ca l’amuse

que je tombe dans le trou pas gai, la camuse

Et la mort à coup sûr me touche de sa morsure

seul en mon linceul me laissera-t-elle seule


La lugubre scabreuse dans les bronches me souffle

elle me fait, la gueuse, pleurer avril en mai

exhibe la niqueuse sous ses robes et ramages

lorsqu’elle se retrousse du temps tous les outrages

La fille du calvaire piétine mon suaire,

et de mes os égrène un sinistre rosaire

Et la mort à coup sûr me touche de sa morsure

seul en mon linceul me laissera-t-elle seule ? »

16 mai 2005
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