Une belle complicité
Rosalie Abirached de la librairie De beaux lendemains (Bagnolet).
Résidence de Colombe Boncenne (2020-2021).
Notre librairie se préparait à ouvrir et Colombe Boncenne venait tout juste d’emménager à Bagnolet.
Nous avions pour désir commun de prendre racine dans cette ville et c’est tout naturellement que nous avons décidé d’œuvrer ensemble à cet ancrage concomitant.
Accueillir une résidence n’était pourtant pas dans nos projets immédiats. J’avais vaguement entendu parler du dispositif sans savoir ce qu’il recouvrait, ni ce qu’il impliquait comme engagements pour les deux parties.
Lorsque Colombe m’a fait cette proposition de résidence, je la connaissais peu tout en l’appréciant beaucoup, et surtout ne l’avais pas encore lue. Nous étions impatientes à la librairie de nouer des partenariats, de faire connaissance avec la ville et celles et ceux qui la font vivre : il n’était pas question de refuser cette opportunité.
La personnalité généreuse de Colombe a eu raison du peu de réserves que nous avions (n’était-ce pas trop ambitieux de démarrer avec un tel projet, aurions-nous le temps nécessaire pour nous y consacrer ?) et j’ai aussitôt accepté avec joie. Chacune s’est empressée de lire Comme neige, le premier roman de Colombe paru chez Buchet-Chastel, et notre enthousiasme s’est vite teinté de fierté, car cette résidence allait faciliter les conditions d’écriture du troisième roman, désormais attendu avec impatience. Le second roman Vue Mer nous a réjouies tout autant. Il est paru chez Zoé en septembre 2020 et son lancement à la librairie a donné le coup d’envoi de la résidence.
Colombe Boncenne habite juste à côté de la librairie et cette proximité a facilité nos rendez-vous et nos conversations, tantôt improvisés, tantôt programmés puis reprogrammés au gré des consignes sanitaires.
Le projet que nous conduisions ensemble était la création du prix De beaux lendemains.
Nous avons choisi 5 romans et 5 BD sur le thème « Nos racines » et offert les 10 livres de la sélection aux 12 jurés tirés au sort, ainsi qu’à une classe de seconde du lycée de Bagnolet, à l’équipe de la médiathèque voisine, et aux bénévoles de l’université populaire de la ville.
Tout le monde a joué le jeu et s’est investi dans les lectures, au point même de co-animer les 5 rencontres croisées entre un auteur ou une autrice de BD et un romancier ou une romancière.
Il s’agissait dans tout cela de ne pas oublier l’œuvre de Colombe, et trouver des moments, dans le contexte contraint de l’époque (confinements, clique & collecte, couvre-feux, jauges etc.) pour mettre en avant son travail d’écriture et le malicieux Vue mer qui croque la vie de l’entreprise en open-space. Outre la soirée de lancement du livre, Colombe a invité l’anthropologue Pascal Dibie à dialoguer avec elle, autour d’Ethnologie du bureau, brève histoire d’une humanité assise. La soirée était passionnante, et faute de public autorisé, filmée dans le cadre du festival Hors limites.
Nous aurions aimé faire davantage, d’autant que les rencontres autour du prix se concentraient sur d’autres livres et que Colombe, très curieuse des autres auteurs, s’effaçait volontiers pour leur laisser toute la place, sans toutefois disparaître tout à fait, présente dans la pertinence de ses questions et de ses remarques.
Parler des livres avec quelqu’un qui écrit et qui lit beaucoup (Colombe Boncenne est aussi programmatrice à la Maison de la Poésie) est une expérience très riche. Colombe s’est aussi intéressée à toutes les péripéties de la librairie et nous a à chaque fois apporté ses conseils, son soutien, son humour. Nous avons construit une belle complicité.
L’autrice en résidence est devenue une figure familière de la librairie, elle prend des initiatives aux même titre que les libraires et n’est pas seulement invitée. Pendant les rencontres du prix, Colombe a aussi pris la parole en tant qu’autrice pour questionner les dynamiques d’écriture de nos invités.
Qu’apporte, selon vous, ce genre de résidence à l’auteur, du point de vue de son travail de création ?
Difficile de répondre à la place de Colombe. Au-delà des conditions matérielles qui facilitent les conditions d’écriture en offrant un temps précieux et rémunéré. Peut-être aussi une émulation ? Savoir son travail attendu, sentir la confiance de l’institution (et ici des libraires chargées ensuite de transmettre son texte) peut constituer une forme de pression mais aussi un encouragement formidable.
Cela donne envie de renouveler l’expérience avec une autre autrice installée à Bagnolet ou en Seine-Saint-Denis. Et surtout le désir réciproque de poursuivre nos échanges avec Colombe Boncenne. La seconde édition du prix De beaux lendemains s’organise sous son haut marrainage, cette fois sur le thème « Habiter ». Colombe s’implique dans cette nouvelle aventure avec la même générosité, la même intelligence, le même souci des autres et nous mesurons notre chance.