(2022) Résidences en librairies
C’est toujours une histoire de rencontre.
Une rencontre entre deux acteurs situés à l’opposé de la chaîne du livre : l’un à la genèse, créateur – l’autre à l’achèvement, passeur. Depuis ces places lointaines, qui fabriquent des visions différentes, l’écrivain et le libraire tendent tous deux vers le lecteur. Tous deux tissent un rapport intime avec lui, l’écrivain par le texte derrière lequel il disparaît, le libraire par sa présence physique, sa capacité de conseil et la confiance qu’il inspire.
Inscrite dans un territoire, une ville, un quartier, à la fois commerce et lieu de citoyenneté, la librairie offre un ancrage à partir duquel l’auteur en résidence peut rayonner, intervenant par exemple dans les écoles, collèges et lycées voisins. Incitant en retour ces publics, souvent peu habitués, à en franchir le seuil.
Entre libraire et auteur, l’échange est foisonnant. Les mots les relient. Un partage d’expériences, en complémentarité. Une envie de prolonger les pratiques habituelles, par-delà l’actualité éditoriale et le flux des livres qui vont et viennent à un rythme trop rapide. Se dessine alors un projet commun, pour construire un temps commun, souvent un cycle de soirées accueilli par la librairie avec des auteurs invités – parfois même dans le cadre d’un prix littéraire (Rosalie Abirached, libraire).
L’écrivain se frotte à une réalité nouvelle. Il mesure l’importance du libraire dans l’existence d’un livre, l’investissement en temps et en énergie que ce métier représente, et il profite de conseils de lecture pour nourrir ses chantiers de création (Cécile Balavoine, auteure).
Les rencontres organisées, ouvrant au public la « salle des machines » de la littérature (Minh Tran Huy, auteure), peuvent aussi nourrir l’écriture en cours, du point de vue de la construction d’un récit ou des procédés utilisés, par exemple (Marianne Rubinstein, auteure). Les discussions avec les invités portent sur l’ensemble de leur œuvre, pas seulement sur une parution à promouvoir : le dialogue en est approfondi.
Enfin, pour beaucoup, la captation vidéo et le fait d’archiver ces moments leur donnent un caractère particulier.
Du point de vue du libraire, l’expérience lui permet d’enrichir le fonds grâce à un regard nouveau (Aurélie Garreau, libraire), développer des rayons, attirer d’autres publics et renforcer sa notoriété (David Rey, libraire).
Peu à peu, l’écrivain devient une présence, figure familière, génie des lieux. Il se sent chez lui, sans « résider » au sens propre. Car ici les écrivains ne dorment pas : ils hantent (Michèle Chadeisson, libraire).
Ce cadre et cette émulation permettent à l’écrivain de trouver un rythme, une régularité, un souffle nécessaire pour revenir à la solitude de l’écriture.
L’œuvre de l’écrivain a croisé l’œuvre du libraire, dans leur rapport à la création (Julien Viteau, libraire). Des liens se sont tissés et chacun connaît mieux le travail de l’autre (Cécile Wajsbrot, auteure).
Car c’est souvent, aussi, une histoire d’amitié.