Albane Prouvost / Meurs ressuscite

Albane Prouvost semble — bien étrangement — inconnue à plusieurs lecteurs qui ont rendu compte de Meurs ressuscite, au point que certains ont pensé à un pseudonyme et même à un homme (!) qui se serait caché derrière ce beau prénom (qui évoque la ville d’Albe, et non la blancheur, comme Albin(e)). Si on lit un peu les revues, on sait qu’elle a collaboré notamment à Recueil, Nioques, Java, ccp et, qu’en dehors de Ne tirez pas camarades aux éditions Unes, elle a publié plusieurs livres à propos de ou avec Emmanuel Collin ; etc. Ajoutons qu’elle lit aussi en public, par exemple Victor Chlovski, Nadjeda Mandelstam et Svetlana Alexievitch.

La citation en exergue (Leslie Hartley) est en relation avec le titre : « c’est comme si [...] on découvrait qu’une personne, dont on avait rêvé qu’elle était morte, est bien vivante. » La thématique de la mort et de la renaissance ne prend pas ici la voie christique ou celle du phénix, mais plutôt celle de la nature, le poème passant de la glace et des glaciers à la neige (« fleurir sous la neige »), puis au printemps. Peut-être y a-t-il un nouveau mouvement ensuite vers la mort, avec le « poirier foudroyé », le « cerisier en train de périr », le retour de la neige et de la glace, pour enfin résoudre l’opposition — comme le suggère le titre qui ne sépare pas les deux verbes : « ma maison ressuscite sous la glace » (57).
Ce thème lyrique traditionnel est à peu près explicite, mais la poésie d’Albane Prouvost échappe par ailleurs à toute représentation et s’apparente à une partition. Le livre s’ouvre sur de courtes séquences qui donnent un "motif musical" : un lieu (maison [glacée]), des arbres (cerisier, pommier, poirier), une action (accepter) ; ensuite, le motif est repris et sont introduites progressivement des variations selon quelques principes : 1. le jeu du même : un vers ou une partie de vers est repris avec ou pas une minuscule variante (« cher renard au cœur de poirier / ainsi cher renard au cœur de cerisier / puisque je t’autorise // [idem] », 45) ; 2. une équivalence est présentée, hors de toute représentation, équivalence qui peut être refusée ensuite : « un jeune pommier est un jeune glacier » (11), « un jeune pommier n’espère pas être un jeune glacier » (12) ; 3. des qualifications non adéquates du point de vue logique : « une brusque maison », « pommier excité », etc. Les trois principes se combinent, d’autres éléments nourrissent le motif, comme « je », « mon ami Y », « confiture de framboises », « renard », « bonté », etc., et apparaissent des auteurs de la littérature russe comme dans Ne tirez pas camarades (« corps de Mandelstam corps pourri par excellence »,18, Khlebnikov, 38, Pouchkine, 46).
Cette construction invite, me semble-t-il, à lire Meurs ressuscite comme on ferait d’une pièce musicale : ce n’est pas la relation au réel qui importe, mais le rythme, créé par les variations autour d’une ligne mélodique, ligne formée par les premiers éléments qui demeurent dans tout le poème.


Albane Prouvost : Meurs ressuscite, éditions P.O.L.

Tristan Hordé

6 juillet 2015
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