De Cécile Mainardi, Poemz

Poemz, de Cécile Mainardi, a paru aux éditions cipM/Spectres Familiers - 40 pages, juin 2009 (10 euros).


Cécile Mainardi sur remue.net.

D’autres textes de Bruno Fern.


             Ce bref ouvrage suffit amplement à retenir l’œil du lecteur et ce dès le titre où le poème paraît simultanément assumé et refusé par la présence de ce z incongru « qui le défigure considérablement » [1]. Autrement dit, Cécile Mainardi ne se contente pas de couler son écriture dans un genre défini à l’avance (avec les attendus que cela suppose, y compris les lieux communs du contemporain) mais cherche tout autant à l’inscrire dans des filiations (par exemple, ici, Desnos et Proust ostensiblement et Queneau en filigrane) qu’à s’en démarquer par sa singularité.
             La première moitié du livre est constituée de strophes de vers séparées par un même nombre de lignes marquées par des astérisques tandis que la seconde offre un unique bloc de prose (ou plutôt : sans vers rendus apparents) non ponctué ; entre ces deux parties se trouve une page exposant une série de 18 photos prises semble-t-il successivement où l’on distingue plus ou moins nettement l’auteur écrivant debout sur des feuilles affichées au mur. Cette oscillation entre apparition et effacement, délimitation et masse où l’on se fond, peut probablement être rapprochée non seulement de la position d’une écriture qui se veut faite « avec aussi peu de teneur biographique / que ce qu’on entend à l’autre bout d’un téléphone / qu’un correspondant aurait mal raccroché » mais également de la réflexion qui s’y déploie quant à son rapport au temps.

             En effet, dès le début, le texte surprend par l’affirmation de sa propre temporalité en évoquant un événement encore non advenu :

Pas vu Marseille sous la neige hiver 2009
– time-loaded event –
fait seulement tourner le moulin de moi-même aussi vite
– marchant couchée contre son mistral –
et l’éternité aussi lent

             Ainsi, il est identifié d’emblée comme le lieu où les mots se détachent (c’est d’ailleurs là un classique) de leurs attributions habituelles :

Pas mouillé par la pluie parce que pas dans le strict présent des choses
plutôt ceint par la vitesse d’information de la buée
comme si le temps de formation de la buée contre les vitres
contenait en tant que tel des informations faramineuses pour le poème
*
*
*
Viens que je te mesure contre le mur du couloir
*
*
*
Viens que je t’ossature dans l’état actuel des choses
*
*
*
Les jours où je ne suis pas plus attachée à l’existence
qu’un mot ne l’est à un objet particulier
« soleil » au soleil, « pluie » à la pluie
« rayon » aux gouttes qu’il y tombe par cône
où je m’en vais jeter des pièces éblouies
dans l’eau bleu-photographié des calanques

             Cela dit, ce retrait – « une fois de moi, une fois de moins » - ne se réduit pas à un simple floutage référentiel qui risquerait de conduire à une mollesse désincarnée « comme si Poésie assise sur son coussin d’air / ne pouvait pas parler à la muse géographe / qui en sait plus long qu’elle sur les rivières » [2]. Bien au contraire, il s’agit de mener un travail de précision qui s’effectue, souvent avec humour, à la lettre près (« Je suis une femme qui a dans le mot / femme la position des m permutée »). De même, Cécile Mainardi est attentive aux effets que suscite la lecture à voix haute de ses textes, en particulier en termes de durée dans la mémoire de ceux qui l’écoutent, à travers ces « alvéoles mnémo-acoustiques » dont elle dit tenir compte en écrivant. A ce sujet, on pourra lire avec profit sa contribution au n° 1 de la récente revue grumeaux : « C’est ainsi que, dans L’Actriste puis dans Poemz j’ai conçu une écriture toute entière élaborée en fonction des mécanismes de la lecture à voix haute. M’astreignant à écrire par groupes de 7 à 8 mots (de pseudo-vers au fond que vient scander un systématique retour à la ligne) j’ai cherché à aménager la lecture la plus confortable pour le lecteur dans la mesure où elle calquerait la longueur de ses segments sur l’empan de mots en moyenne mémorisables par la lecture immédiate » [3]. Dans cet intérêt pour ce qui touche à la voix, on retrouve ce souci permanent de l’auteur envers ce qui, dans l’écriture, s’accomplit à la fois comme affirmation et comme disparition (présence-absence qui est aussi celle, évoquée, de l’homme aimé), l’essentiel étant, avant tout et sans illusions, d’en « maintenir l’intensité d’en rêver intacte allons n’allez pas croire que je puisse dire quoi que ce soit de réenchanté de ma bouche ne passent que des poèmes d’air crevés ».

             Mêlant pertinemment allusions philosophiques et notations triviales, Poemz n’est donc pas à considérer comme une œuvre mineure mais inscrite dans l’ensemble des autres ouvrages de C. Mainardi – dont quelques échos sont repérables ici ou là : la blondeur, l’eau super-liquide – et participant à cette tentative de « produire une longue phrase continûment-mutante / en constante mutation de sens / c’est-à-dire pour laquelle l’ajout d’un segment supplémentaire rééclairerait rétrospectivement le ou les segments précédents : une phrase à coefficient ondoyant / d’ondoyance, une phrase-morphing » [4].

Bruno Fern.
10 novembre 2009
T T+

[1« Ctrl + Z » est justement le raccourci clavier qui, sur un ordinateur, correspond à l’annulation de la frappe.

[2Jean-Christophe Bailly, Basse continue, Seuil, 2000.

[3Revue grumeaux.

[4Revue grumeaux.