De la littérature comme rencontre

« Le silence comme rencontre », ainsi Jean-Marie Barnaud et Philippe Rahmy ont-ils intitulé leur échange au cours de la dernière des rencontres de la saison organisées par remue.net en collaboration avec La Scène du Balcon, c’est-à-dire, nommément, Harold David et Jérôme Frioux-Toublant qui les ont accueillies avec autant de générosité que d’amicale attention.
  Vous pouvez écouter cet échange ici, le lire là.
   Et toujours en ligne, le texte de présentation de Sébastien Rongier et les enregistrements de la précédente rencontre, le 16 mai dernier, entre Gérard Haller et Jean-Luc Nancy.

« Comment vivre en poésie ? » interroge Jean-Marie Barnaud dans son dialogue Joë Bousquet-Simone Weil.
  C’est à partir du silence qu’on écrit, « c’est depuis ce lieu de silence » que, « bizarrement », écrivait Joë Bousquet à Simone Weil, on peut donner à la pensée « un objet » tel que « l’âme ait en ce monde un centre de gravité par rapport à quoi les faits et les êtres redeviennent des images de la vie profonde ».

Une simple phrase (« suivez attentivement ce que je vais vous raconter ») et voilà le monologue qui démarre, sans préambule, à toute vitesse : Jacques Josse (qui, chez Jacques Brémond, écrivit une lettre à Hrabal) nous raconte comment Bohumil Hrabal a écrit l’histoire de Jan Ditie, enfant sorti de nulle part, passé de groom à maître d’hôtel (devenant ensuite patron puis millionnaire mais sans jamais s’affranchir de sa condition de valet), lui qui avait servi le roi d’Angleterre.
  Ce qui fascine dans les capacités professionnelles du serveur, c’est sa façon décidée d’aller parmi les possibles, sûrement, vers le plus probable, et de trouver :
  « Il me recommandait d’apprendre à jauger les capacités financières du client pour évaluer ce que celui-ci pouvait ou devrait se permettre comme dépense. Voilà l’essentiel pour faire un bon maître d’hôtel, me disait-il, et quand on en avait le temps, il m’indiquait à voix basse de quel genre était le client qui venait d’entrer. [...] À chaque coup il avait raison, toujours et sans exception. »

La Tête de l’Homme (nom d’une montagne) de Florence Pazzottu est un récit en vers de treize syllabes, « un récit des noms et des chutes – parfois dans la blancheur (neige), parfois dans l’obscurité (cave) –, d’une fenêtre, d’un escalier pas éclairé – de tout on peut tomber, on peut tomber à l’intérieur de soi, dans son ventre, on peut tomber d’un mot, d’une phrase prononcée ou tue, on peut tomber d’une généalogie par les femmes, d’une filiation ».
  Lisez-le, et lisez Contact de Cécile Portier, les deux nouveaux titres de la collection Déplacements aux éditions du Seuil.

Ce n’est pas facile de signaler une brève ou il faudrait le faire très longuement, très longuement parler du numéro des Cahiers Claude Simon dont a rendu compte Jean-Marie Barnaud, et de la naissance de L’œil de Brousse, nouvelle revue que nous annonce Fred Griot.

« Le peintre regarde où on ne regarde pas, écrit Catherine Pomparat, le peintre coupe où on ne coupe pas, le peintre coud où on ne coud pas, le peintre écrit comme on n’écrit pas : avec ses pieds. À l’entrecroisement de lignes visuelles qui échappent aux catégories figuratives établies le monde s’échappe et crée, contre toute attente, une figure. »
  De ce peintre, Claude Lagoutte, vous rencontrerez Voyages et autres traces cet été au musée des Beaux-Arts de Bordeaux jusqu’au 1er septembre.

« La couleur rouge est une affirmation à n’importe quel prix. Sans se soucier des dangers du combat, de contradiction, d’agression », pas de titre pour un pastel blanc sur papier rouge de Louise Bourgeois introduit le texte que nous a envoyé Claudine Galea pour notre mai 68, joli mai.

Nous ne sommes pas séparés, c’est le titre que Yun Sun Limet avait donné à son entretien avec Henry Bauchau en janvier 2006, Henry Bauchau qui vient de recevoir le Prix du Livre Inter.

Au cours de la vingt-sixième nuit d’été de Pedro Kadivar, « un gardien est assis dehors devant la porte et veille sur ta nuit. […] Muet, il rêve de ta langue qui s’écrit dans ta nuit qu’il ne connaît pas, il voit tes mots passer comme des nuages dans son ciel et ne peut les lire […] ».

Patrick Chatelier nous donne des nouvelles de l’atelier d’écriture Général Instin qu’il conduit au lieu de l’autre à Arcueil.
  Regardez bien les notes (pas en bas de page mais sur le côté gauche de l’écran, horizontalement on a de la place) que Patrick Chatelier a su fabriquer : elles sont illustrées des photos des ancêtres des participants à l’atelier. Chaque fois que le regard se porte à gauche, pour voir, c’est un choc affectif, affectueux.

Le livre et l’éditeur d’Éric Vigne, nous sommes plusieurs, sur la Toile, à avoir rendu compte de ce livre papier d’un éditeur papier qui parle de l’édition papier.
  L’édition c’est du temps accumulé, quelques siècles d’une autorité construite par expériences, par batailles d’idées et pour faire vivre le terreau d’exigences et d’échanges et les règles de l’échange, de l’honnêteté intellectuelle et de la preuve, de l’épreuve. Un droit qui ne va pas de soi.
  Et ce qui se déroule en ce moment s’en prend à ces durées ; s’en prend au lent temps de découverte et de revie dans les lectures. Une question de catalogue, comme on l’apprendra à lire deux questions et leurs réponses, quatre pages confiées aimablement par l’auteur et l’éditeur – où on éprouvera que le pdf reproduisant la page verticale ce n’est pas ce qu’il y a de mieux et qu’on devrait, pour la lecture sur écran, soit coucher ces documents pdf horizontalement et tout reprendre de la colonne de texte et des marges, du gris typographique, dans la grande tradition, soit s’affranchir du pdf et passer à autre chose. Un des sujets dont on parlera dans un coin, le 14 juin prochain.
  On vous invite à commander le livre d’Éric Vigne chez votre libraire ou auprès de la librairie en ligne de Fabula.
  Pour entamer ou prolonger la réflexion, vous pouvez lire « Ne pas subir le numérique » sur le site de François Bon, qui pose actuellement les fondations de la rencontre nécessaire entre l’édition numérique et la littérature contemporaine
  et sur le site de Fabula, l’article de Marc Escola : « Restructuration du ministère de la Culture : Fin de la Direction du Livre et de la Lecture ? », ces inquiétudes sont les nôtres, elles sont celles de tous ceux qui aiment lire, qui aiment écrire.

Ce temps accumulé par le livre et l’édition, c’est aussi l’histoire de ceux qui dans les écoles, dans les collèges, permettent que la langue fasse bien commun.
  Le narrateur que François Begaudeau met en scène « ne se pose ni en héros et encore moins en anti-héros. Il fait son travail ».

« Rendre respirable l’irrespirable, organiser la chambre des échos pour répercuter le cri des témoins », nous dit Shoshana Rappaport-Jaccottet à propos d’Icare crie dans un ciel de craie de Martin Rueff.

Et puis, certains événements et certaines façons d’écrire le français nous bouleversent et ravivent notre désir d’écrire à côté des conventions et contre celles qui sont des bâillons.

ici est la rose, ici il faut danser : Claude Favre nous donne le sixième et le septième et dernier texte de ce cycle.
  Claude Favre écrit dans une langue de verbes et de noms pesants et actants et granuleux comme du gravier et de la chaux qu’on frotterait entre ses mains.
  Elle a composé ses textes de tête et les a dictés au téléphone, à Fred Griot qui les a transcrits.
  La mise en page, colonnes étroites justifiées, est traitée à l’écran comme une image : typo artisanale reportée telle que.


Photo LG : les hôtes bleus du monastère de Saorge.

9 juin 2008
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