James Sacré / Un paradis de poussières

"C’est pas souvent que le monde nous prend par l’épaule", James Sacré


« Je m’essayais à décrire ça qu’on voit
La vie, les gens, rues d’un gros bourg agricole,
Toutes sortes de petites charrettes qui s’installent sur le trottoir,
Un marchand poussant l’autre au fur et à mesure de la journée qui passe, au soir
Vacarme que font les oiseaux (faut faire attention pour vraiment l’entendre) à l’heure que tout le monde sort en fin d’après-midi. »

James Sacré invite, le temps d’un nouveau livre, son lecteur à l’accompagner là où il s’est rendu il y a peu et d’où il revient avec de nombreuses notes en poche. La traversée proposée sera lente. Le rythme voulu est en effet celui de la marche. Il avance d’une manière qui paraît d’abord un peu hésitante mais qui devient vite efficace, ne laissant aucune émotion à la traîne. Il a une façon bien à lui d’arpenter le paysage, de le sentir frémir, de s’y frotter, de ne jamais oublier ceux qui y travaillent (et en vivent). Il avance, respire, collecte, coupe, cadre, dévie, revient sur ses pas, s’arrête et repart.

Les villes où il s’arrête et déambule à travers rues, bazars, restaus ou cafés se situent au Maroc, un pays qu’il affectionne et où il se rend fréquemment. On se souvient d’Une fin d’après-midi à Marrakech (éd. André Dimanche, 1988), ensemble écrit (tout comme celui-ci) en grande complicité et connivence avec Jillali Echarradi (un ami marocain qui accompagne le poète avec ses dessins et sa parole dans plusieurs autres ouvrages). Ces villes, il les sillonne en allant à la rencontre d’amis plasticiens - ainsi Khalil El Gherib - « J’ai rendez-vous avec Khalil pour aller voir chez lui / les choses (le mot « peinture » ne convenant pas) qu’il fait » ou écrivain – Amran El Maleh - « C’est la main d’El Maleh que voilà tout active / à déprendre du plat ça qui empêche qu’on y mange / avec des gestes légers ».

Flâneries simples, ordinaires avec, çà et là, des détails qui affleurent et ouvrent des séquences brèves, captées et redonnées en un clin d’œil (celui, acéré, du peintre ou du photographe aux aguets).

« Devant l’entrée du bar à bière, pilier à carreaux de faïence un peu compliqués
Deux petites jarres sont là contre,
Montées (pour que l’eau soit mise à bonne portée de quelqu’un qui boit debout)
Sur un cageot renversé, carré de planche posé dessus. »

Sacré excelle en croquis, esquisses qu’il déplie au fur et à mesure de la marche et de la découverte. Il cherche le mot le plus juste, la couleur qui convient, la description des divers éléments qui participent au désordre ambiant. Pour ce faire, il tâtonne, exprime ses doutes. « Si je ne prends pas de photo, ou pas suffisamment de notes au moment que je vois les choses, tout de suite j’oublie c’est pas croyable ».

On retrouve, ici comme ailleurs, dans l’œuvre abondante de James Sacré, le plaisir de l’oralité. Celle-ci chamboule et dérègle la grammaire, s’affirme très suggestive, s’ancre dans une ruralité ouverte, accédant au monde par la multiplicité de ces espaces de rencontres que l’on peut tout simplement nommer poèmes.

Un paradis de poussières, un livre du regard, de l’humilité, de l’errance, du partage et de la générosité avec, toujours lové en embuscade, ce lot d’incertitudes et d’interrogations dont James Sacré ne se sépare jamais.

« Le poème n’est-il que des mots ? Pour les disposer ainsi, selon un rythme et des arrangements divers,
N’a-t-il pas fallu quelque transport du cœur ? »


Un paradis de poussières : James Sacré, éditions André Dimanche (10, cours Jean Ballard – 13001 Marseille).

28 décembre 2007
T T+