Renata Morresi | Madame W
Née 18 et 60, le 29 août, née en septembre, d’après le calendrier russe, le 11, née en 80, artiste, née moscovite, cosaque, née
Marianna, Marianne, née en 1911, ange bleu, née de nouveau à cheval, auf der Brücke, carnets d’esquisses retrouvés : 170
*
une page vingt mains,
une autre entièrement occupée
par un cheveu, dans le cahier
les couleurs décrites par leur première
lettre, aux infrarouges
on distingue que les rochers
étaient "rochers"
et le rouge "r"
*
"j’aime les choses qui ne sont pas", ou de la couleur
*
les mêmes centimètres de teinte
se transforment par rapport au modelé
déforment les formes, dépendent
des causes les plus variées, la densité par
exemple, la radiation
et les autres incroyables rapports
entre les yeux et la lumière
*
dans ce tableau
appelé dimanche
de printemps, nous étions
en neuf cent sept,
une file énorme
ils vont vers le coin
en haut à droite après
le coude du fleuve.
Des petits hommes/des hommes minuscules
même ordre que le cours
d’eau qui est sur le côté
ils suivent rangés
mais je crois contre le vent
à en juger par leur regard
vers le bas en tenant
leurs chapeaux
ils observent l’élan du pas suivant,
les pieds dans un coup de pinceau
en file sur le sentier
ils dessinent une ride
que l’on ne peut voir qu’ici.
Tandis que l’église rouge
tandis que les usines effilées
élèvent les belles croix
les antennes, les cheminées
jusqu’au cadre.
Puissent-ils voir
le point non lointain
que certains appellent
"fuite"
*
"innombrables sont les esquisses qui, avec une répétition continuelle, représentent des alignements en tout genre, des allées d’arbres, des processions, des files de fauteuils au théâtre, des gerbes, des passants" ce secret diffusé par le sable et la ponctuation : qui su-is-je-e qui su-is-je-e (pédale effet écho)
*
dans ce tableau appelé automne appelé École
on voit 19 êtres humains, 9 paires d’enfants en file
je me demande : si ceci est un coin de montagne
au coucher de soleil, si cela est la vague noire du lac qui la
lie, si ce mont pareil au lac renversé
dans ce même bleu profond est un esprit
si quatre arbres secs comme des poteaux droits
noirs sont des barreaux de prison
si les paires d’enfants, noirs aux manteaux aux chapeaux
noirs aux cheveux et les chaussettes aux chaussures elles-aussi
noires sont dans la prison, si savoir n’est fait que
du son tranchant de ces pas vers l’extérieur,
qui était l’une
*
"en partant de certains moments narrat. ces œuvres décr. des paysages, formes dans leur essence " (d’1 crit.) > comprendre ce que cela veut dire- pures. données. sont : les falaises claires, l’éblouissement de l’eau brève , les couleurs comme une cinquième dimension. (voir : immersion en ce que nous n’avons pas été) en voulant faire une photo de l’intérieur, par derrière, prise à partir du vent, prise vers qui regarda qui
*
assise au bar
dans la cour du musée
d’autres déjà assis-
restez retournés 3 immobiles ainsi
restez 3 humains à vos
tables
à carreaux roses et blancs
et à lignes rouges 6
rectangles disposés
en file précise le long
de la longueur et
3 chaises du même
côté de manière
que vous me
tourniez le dos
de manière que moi aussi
je tourne le dos à celui qui suit
et aucun de nous tous
puisse savoir qui regarde
quoi devant
ou qui regarde
regarder
et ensemble nous regardons
au-delà du bar
un d’entre nous plus attentif
sur son coude une autre les
mains recueillies un autre
déjà fatigué appuyé
sur lui-même une autre ici assise
à ma place
et les autres derrière moi
que jamais je ne pourrai compter
*
tendance presque pathétique à l’utilisation spasmodique du préfixe "sur" : "suresthétique", "surmondial","surindividuel"- ou : pas : sur-quoi, mais : sous-soi
*
dans ce tableau appelé Jumeaux
deux femmes aux visages verts
les portent tous deux dans les langes,
la femme voilée en noir
l’autre au chapeau
genre Mort à Venise.
À qui appartiennent les vies
que vous vous êtes partagées ?
À la femme aux cheveux
bleus qui scrute ?
À la femme aux mains
qui supplie apeurée ?
De qui êtes-vous les jumelles,
chères amies ?
*
… une artiste sans une foi profonde en les devoirs de la vie bla bla bla…
dans ce tableau un classique,
La route de campagne,
apparaît comme un fleuve de par
son dynamisme, mais les poteaux ?
Sur les côtés, aujourd’hui on les appellerait "délinéateurs",
ce sont de futures stèles ? Il y flotte trois femmes
aux foulards blancs comme des voiles,
elles glissent vers moi
des esprits simples qui disent Crois
à ne pas Croire.
*
mais non, mais non, mais non
s’en aller, même de Toula
de Munich, d’Ascona
faire comme Arzhur
"il est des destructions
nécessaires", en
finir avec la plume,
avec le pinceau
nous porterons le symbole
comme un paletot
jaune
*
n’étant pas, c’est beau
*
Traduction de Manuel Caprari et Sabra Boukelia. Poèmes parus initialement dans "Nioques", n° 14 (2015)
Notes
- “j’aime les choses qui...”, “innombrables sont les esquisses ...”, “en partant de certains moments narrat. ces...”, “le son, la ligne, la tache sont des symboles extrêmes, une langue ” extraits de Marianne Werefkin, L’amazzone dell’avanguardia (2009), Rome, Musée de Rome à Trastevere (25 novembre 2009-14 février 2010), catalogue sous la direction de Mara Folini et Federica Pirani
- “nos nos nos / adieux puis non maintenus ” sont des vers de Ferruccio Benzoni,
- “Faccia da clown”, dans Sogno del fiaccheraio (1991), puis dans Numi di un lessico figliale (Marsilio, 1991)
- “il est des destructions nécessaires ” extrait de quelque chose sur Rimbaud ;
- “un plan blanc, noir ou recouvert d’une”, est de Alexandre Kojève, dans Kandinsky (Quodlibet, 2005)-,
- “à nous, comme à chaque génération...” provient de Walter Benjamin, “Tesi di filosofia della storia”, Angelus Novus : saggi e frammenti (Einaudi, 1981).