Un plat de sang andalou

Premier roman de David M. Thomas.


Soixante-dix ans après la fin de la guerre d’Espagne, les liens qui unissent celle-ci et la littérature restent toujours aussi forts et réguliers. Ces dernières années, plusieurs livres, émanant d’auteurs qui n’ont pas connu cette époque, sont venus, mêlant fiction, témoignages, matière historique et itinéraires personnels, s’ajouter à la somme déjà existante. Ainsi Javier Cercas en Espagne avec Les soldats de Salamine (Actes Sud, 2002) et Bruno Arpaia en Italie avec Du temps perdu (Liana Levi, 2003). À ceux-ci, et aux autres, il faudra désormais adjoindre le nom du gallois David M. Thomas qui publie, avec Un plat de sang andalou, le premier volet d’une trilogie qui retrace le parcours des républicains espagnols avant, pendant et après la mise en place de la dictature franquiste.

Ce livre inaugural se situe entre 1936 et 1939, autrement dit au cœur de la guerre civile. Il est ancré dans un lieu bien défini, à savoir la ville, le port et les environs d’Almeria en Andalousie. Le narrateur est un fils de docker londonien qui a quitté son pays pour combattre aux côtés des républicains, rejoignant d’autres volontaires, parmi lesquels se trouvent un allemand ayant déserté, un soldat italien, une réfugiée de Malaga (la ville vient d’être bombardée) et le Jefe, chef de cette brigade internationale qui voit ses membres passer aussi aisément d’une langue à l’autre que du calembour à la gravité. Autour d’eux, vont et viennent de nombreux protagonistes qui participent, chacun à leur niveau, à la résistance en cours.

« Un vieux camion bâché du Secours Rouge s’arrête sur la place déserte, large et brillante. Les portes arrières s’ouvrent, les brancardiers descendent et emmènent un blessé dans la cathédrale. »
“Ça n’a pas l’air d’étonner nos deux messieurs”, j’observe.
“Qué va, dit Indalito, allez, tout le monde a vu des blessés du front”.
“Mais tout le monde ne sait pas que la cathédrale sert d’hôpital. Moi, je ne le savais pas quand je suis arrivé. "

David M. Thomas décrit presque au jour le jour la vie de cette poignée d’hommes qui luttent en se serrant les coudes et en parlant le plus possible. La parole libère. Elle émiette les angoisses et les peurs. Elle est aussi arme de résistance. Décisive pour construire, réfléchir, blaguer, s’émouvoir, tenir, s’opposer, décider. Le livre est ainsi, en grande partie, autant dans la narration que dans les descriptions, construit sur les dialogues. Tous, vifs, justes, épurés, donnent du nerf (et une force fluide) à un texte qui, du coup, se démarque de nombreux romans contemporains, en particulier ceux où narrateurs et personnages ne parlent presque plus, préférant le monologue intérieur et la pensée murmurée à la discussion débridée et spontanée.

“Et le Jefe alors, il est où ?”
“Il nous attend à Los Millares, dit Dartmann, mais d’abord on va faire un petit tour à l’Alcazaba.”
“Entendu,” dit Belarmino.
“À l’Alcazaba, tu te rends compte ? Ce sera la dernière fois que tu verras cette ville, ta ville, notre ville, cette ville merveilleuse qui a résisté pendant trente-deux mois de guerre civile, jusqu’au bout, oui, la dernière ville de toute l’Espagne républicaine.”

À bout de force, Almeria finira par tomber elle aussi. Restent ceux qui ont tout fait pour que cela n’advienne pas. C’est à ceux-là que David M. Thomas (qui écrit en français) redonne vie à travers ce subtil et dynamique premier livre.


David M. Thomas : Un plat de sang andalou, éditions Quidam.

5 octobre 2009
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