Une femme allemande

C’est un récit en dix chapitres brefs qui mène du « retour du ciel » au « match de retour » en racontant quelques moments de la vie d’une femme, dont on pourrait penser qu’elle est celle dont la voix réfractée nous était parvenue dans Stimmlos.

Au début, elle est jeune :

On ne voit pas si c’est une femme ou encore une enfant, celle qui se tient debout au milieu des ruines, le regard qui cherche loin vers l’horizon. Ses yeux apprivoisent l’étendue bleue jusqu’alors menaçante et qui maintenant ne se préoccupe que de nuages et de lumière. Juste du ciel. [1]

On aimerait partager son espoir, mais la narratrice nous en dissuade vite :

Personne pour lui dire que grandir ne suffit pas pour être à la hauteur de ses désirs. [2]

Une femme allemande est le récit d’une vie de femme, survivante des bombardements sur l’Allemagne nazie, qui espère découvrir Paris en épousant le beau soldat dont elle attend l’enfant qu’elle a refusé de « faire passer ». Au bout de son voyage, elle sera arrêtée dans son élan, immobilisée dans une maison dont la cuisine a « l’odeur du passé », celle des pommes de terre rancies qu’elle mangeait autrefois. Elle a perdu son pays, sa famille et d’une certaine façon sa langue puisqu’elle ne reconnaît pas comme sienne la langue familière à cause de « l’accent rugueux » [3]

Elle est différente, elle est « l’étrangère ». On la juge mauvaise mère et mauvaise épouse. Sa solitude est aussi grande que son désespoir, et pourtant elle se reprend, elle relève le tête. Elle proteste comme elle peut. Elle fume, elle boit, elle oublie le ménage, elle danse, elle fait du vélo, elle regarde les hommes dans les yeux. Elle aime ses enfants, autrement.

C’est le récit de la vit d’une femme qui voulait vivre à corps perdu et qui sera repoussée deux fois dans le camp des vaincus : par la guerre d’abord, puis par la vie. Elle cessera d’être coquette. Elle vieillira. La vie rêvée sera perdue comme un souvenir encombrant.

On aime ce récit pudique, retenu et bruissant de la vie que porte en elle la femme allemande. Fabienne Swiatly a l’art du détail et de la mise en scène. On voit ce qu’elle raconte. On se sent y être. C’est pourquoi on ne peut manquer de remarquer, là, dans un coin du texte, une petite fille aux cheveux tantôt blonds, tantôt roux, curieuse du passé de sa mère et qui pose des questions. Une petite fille qui « ne sait pas que l’oubli est un fragile labeur contre l’effondrement » [4]. D’avoir tant regardé et si longuement écouté, on se dit que c’est peut-être elle aujourd’hui, la narratrice qui fait revivre pour nous Une femme allemande.

José Morel Cinq-Mars


Fabienne Swiatly, Une femme allemande, Lyon, La fosse aux ours, 2008, 122 p.
Fabienne Swiatly est membre de l’équipe de rédaction de remue.net.
D’elle, on peut lire Gagner sa vie (La fosse aux ours, 2006) et Boire (Ego comme X, 2008) ;
on peut aussi visiter son site, La trace bleue.


Illustration "infante-baselitz" de Martin Bruneau

12 octobre 2008
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