Anne Duclos | Punks
On peut faire à intervalles réguliers le bilan des choses qu’il fallait apprendre : que l’on n’est pas en mesure d’évaluer la souffrance, par exemple. La main pendue dans une autre main, on avance avec confiance dans le noir. Les choses les plus importantes sont peut-être rangées, mais les mains ne le sont jamais tout à fait. Enfance : apprentissage des corps. Mais alors comment légendera-t-on l’âge adulte ?
Esprit de synthèse : à l’école, on nous a appris qu’il était utopique de faire autrement, et que l’on ne pourrait jamais résorber le mal. Il y a des mots pour ça comme : externalité négative. École, emploi, nos yeux ne sont pas libres. Les mains jamais tout à fait non plus. Nous accordons donc de l’importance à des activités comme : écouter de la musique, ou faire l’amour.
De tout ce dont on n’a pu comprendre la fonction, on peut raisonnablement cesser de s’occuper. Les fantômes en premier lieu. De manière générale, beaucoup de choses qu’on ne peut toucher nous sont restées obscures. Certains font remarquer que c’est précisément cette absence de détermination qui fait leur intérêt. C’est vrai, mais c’est également ce qui les rend inintéressantes.
Il pourra sembler que l’enjeu est de comprendre le plus tôt possible qu’il ne faut pas nourrir de vaine recherche mais se retrousser les manches – en réalité, cette idée est une fausse piste. Inutile car cela revient à se noyer dans l’eau que l’on voulait écoper. Proscrire est contre-productif. On ne peut s’expliquer autrement l’usage abondant des interdictions dans notre société : en quelque sorte, un acte de sabotage.
Il s’agit en tout cas de grandir. C’est la seule question qui ne se pose pas. Mais où ? comment ? L’enfant devra choisir l’enfant qu’il incarnera sans même savoir quel adulte en résultera. L’action ne peut en aucun cas être différée. Encore une fois, n’oubliez pas que c’est un point qui ne soulève aucune discussion. Le temps pousse dans cette direction, c’est-à-dire dans la direction où ça pousse.
Aucune métaphore animale ne parvient à rendre totalement compte de l’être humain. Ce n’est pas une constatation, mais la définition longtemps officielle. Petits loups, petites chattes, il est longtemps difficile de comprendre ce qu’il y a à apprendre. Nombreuses révélations, dans les manuels, de choses dont nous n’avions jamais doutées.
Pour chaque mauvaise réponse, rétorquer que la question était mauvaise. Ce n’est pas la bonne foi qui paiera, mais la systématicité. À ce jeu-là, nous ne nous étonnons pas que d’autres ne veuillent pas jouer. Au fond, comme pour les travaux de groupe à l’école, il faut bien que certains fassent le travail.
Regardez les adultes découragés lorsqu’ils voient envolées leurs illusions.
Une chose qui était dégoutante, c’était l’incompréhension du moi, à quoi tout ramenait pourtant. Est-ce un sentiment qui disparaît à l’âge adulte ? On s’habitue, et il est évident qu’il y a des compensations. Faut-il entrer en guerre contre tout ? Cela n’est de toute façon pas tenable, il suffit de faire le compte pour voir qu’on est une partie du tout.
La chose la plus intéressante ensuite avait été le corps. Il restera toujours des choses à apprendre. Douleur et plaisir s’apprécient différemment. Je n’ai pas mal dans ton corps, mais je sens ton plaisir. Et le mien, tu le sens ? Tu le vois ? Montre, regarde, touche, touche-moi, et ça ne signifie pas seulement touche mon corps, et pourtant c’est exactement ce que ça signifie.
Ne pas abandonner les intentions de départ ou ne pas avoir d’intention.
N’oublie pas ton sac : instruction. Sois prudent sur la route : conseil. Attention, les routes sont verglacées : explication. Jouis sans te plaindre des libertés qui te restent. Le marché n’attend pas. Lorsque l’on tue quelqu’un, on nous prend quelqu’un. Qui, nous ? N’apprends rien.
Nue dans la rue. C’est ainsi que l’on marche lorsqu’on est saoule ou rescapée d’un incendie, nue et crue. Femme nue dans les lieux adéquats, décors de peintres, de photographes ou de cinéastes – une femme nue, c’est toujours un décors.
Supporter l’horreur sans la douleur est déjà chose difficile. Mais la douleur seule dans le corps, ce n’est pas de l’ordre de la pensée. La douleur seule dans le corps détruit l’ordre. Il faut savoir que la douleur est toujours seule dans un corps. Elle ne peut donc occuper aucune place dans les pensées.
De l’ancienne Grèce dont nous avons tout perdu, il faut se souvenir des hommages rendus aux morts et de la loi sacrée de l’hospitalité. Nous qui n’attendons plus les dieux, nous pouvons fermer nos portes.
Esprit de synthèse : à l’école, on nous a appris qu’il était utopique de faire autrement, et que l’on ne pourrait jamais résorber le mal. Il y a des mots pour ça comme : externalité négative. École, emploi, nos yeux ne sont pas libres. Les mains jamais tout à fait non plus. Nous accordons donc de l’importance à des activités comme : écouter de la musique, ou faire l’amour.
De tout ce dont on n’a pu comprendre la fonction, on peut raisonnablement cesser de s’occuper. Les fantômes en premier lieu. De manière générale, beaucoup de choses qu’on ne peut toucher nous sont restées obscures. Certains font remarquer que c’est précisément cette absence de détermination qui fait leur intérêt. C’est vrai, mais c’est également ce qui les rend inintéressantes.
Il pourra sembler que l’enjeu est de comprendre le plus tôt possible qu’il ne faut pas nourrir de vaine recherche mais se retrousser les manches – en réalité, cette idée est une fausse piste. Inutile car cela revient à se noyer dans l’eau que l’on voulait écoper. Proscrire est contre-productif. On ne peut s’expliquer autrement l’usage abondant des interdictions dans notre société : en quelque sorte, un acte de sabotage.
Il s’agit en tout cas de grandir. C’est la seule question qui ne se pose pas. Mais où ? comment ? L’enfant devra choisir l’enfant qu’il incarnera sans même savoir quel adulte en résultera. L’action ne peut en aucun cas être différée. Encore une fois, n’oubliez pas que c’est un point qui ne soulève aucune discussion. Le temps pousse dans cette direction, c’est-à-dire dans la direction où ça pousse.
Aucune métaphore animale ne parvient à rendre totalement compte de l’être humain. Ce n’est pas une constatation, mais la définition longtemps officielle. Petits loups, petites chattes, il est longtemps difficile de comprendre ce qu’il y a à apprendre. Nombreuses révélations, dans les manuels, de choses dont nous n’avions jamais doutées.
Pour chaque mauvaise réponse, rétorquer que la question était mauvaise. Ce n’est pas la bonne foi qui paiera, mais la systématicité. À ce jeu-là, nous ne nous étonnons pas que d’autres ne veuillent pas jouer. Au fond, comme pour les travaux de groupe à l’école, il faut bien que certains fassent le travail.
Regardez les adultes découragés lorsqu’ils voient envolées leurs illusions.
Une chose qui était dégoutante, c’était l’incompréhension du moi, à quoi tout ramenait pourtant. Est-ce un sentiment qui disparaît à l’âge adulte ? On s’habitue, et il est évident qu’il y a des compensations. Faut-il entrer en guerre contre tout ? Cela n’est de toute façon pas tenable, il suffit de faire le compte pour voir qu’on est une partie du tout.
La chose la plus intéressante ensuite avait été le corps. Il restera toujours des choses à apprendre. Douleur et plaisir s’apprécient différemment. Je n’ai pas mal dans ton corps, mais je sens ton plaisir. Et le mien, tu le sens ? Tu le vois ? Montre, regarde, touche, touche-moi, et ça ne signifie pas seulement touche mon corps, et pourtant c’est exactement ce que ça signifie.
Ne pas abandonner les intentions de départ ou ne pas avoir d’intention.
N’oublie pas ton sac : instruction. Sois prudent sur la route : conseil. Attention, les routes sont verglacées : explication. Jouis sans te plaindre des libertés qui te restent. Le marché n’attend pas. Lorsque l’on tue quelqu’un, on nous prend quelqu’un. Qui, nous ? N’apprends rien.
Nue dans la rue. C’est ainsi que l’on marche lorsqu’on est saoule ou rescapée d’un incendie, nue et crue. Femme nue dans les lieux adéquats, décors de peintres, de photographes ou de cinéastes – une femme nue, c’est toujours un décors.
Supporter l’horreur sans la douleur est déjà chose difficile. Mais la douleur seule dans le corps, ce n’est pas de l’ordre de la pensée. La douleur seule dans le corps détruit l’ordre. Il faut savoir que la douleur est toujours seule dans un corps. Elle ne peut donc occuper aucune place dans les pensées.
De l’ancienne Grèce dont nous avons tout perdu, il faut se souvenir des hommages rendus aux morts et de la loi sacrée de l’hospitalité. Nous qui n’attendons plus les dieux, nous pouvons fermer nos portes.
18 novembre 2023