Benoît Artige | Figures libres, Bianca Castafiore
(Pour Thierry Gillyboeuf)
J’ai tellement lu dans ma jeunesse les albums de Tintin, disait-il à son thérapeute, que, même si je ne les lis plus du tout aujourd’hui, il me semble que je n’en suis jamais sorti. Toute émotion de mon existence a pour épicentre Moulinsart, je suis né rue du Labrador et aucun recoin de la Syldavie ne m’est inconnu - vous voyez à quel degré de névrose j’en suis arrivé. Quant aux personnages de la bande dessinée, j’ai la certitude déraisonnable qu’ils expriment chacun, à leur manière, un part intime de ma personnalité : les colères du capitaine Haddock, la folie douce de Tournesol, la fidélité inoxydable de Milou, voire même les blagues puériles du petit Abdallah : dans tout cela, il y a beaucoup de ce que je suis. Toutefois je vais vous surprendre – et je pense que nous ne devrions pas trop creuser ce sujet lors de nos prochaines séances car cela nous emmènerait trop loin – le seul personnage dans lequel je me retrouve tout entier, ce n’est pas Tintin – trop fade, trop transparent, comme chacun sait – mais celui de la Castafiore. Bien que physiquement et physiologiquement son parfait opposé, je suis comme elle altruiste, d’une générosité désintéressée et, en même temps qu’aimé, parfaitement incompris. Par ailleurs, je note, et c’est curieux, ce charmant défaut que nous partageons : celui de ne prononcer aucun nom de famille sans le déformer en sobriquet de héros d’opérette.