Étienne Vaunac | Granits - 9


LE FANTÔME DE TERTULLIEN



I


son pied écrase des carcasses translucides de petites araignées mortes
la terre est sèche sous la sandale. tout autour de la maison
on a planté des sacs plastiques des boîtes d’œufs en carton.

c’est à peine si l’on devine les trois paires d’ailes d’un séraphin
que le maître oublia d’arroser elles brillent dans la mort articulée
d’une lueur noire et bienveillante

le marcheur présume alors que
« c’est une semence que le sang ».

II


de la cuisine innommable lui parvient l’odeur de l’agneau
rissolé dans l’huile d’olive
des oignons frits
du pain de semoule.

tous les nénuphars s’ouvrent dans le ciel en des rondeurs de ventre.
de la controverse il a le goût et du vin versé dans les coupes
n’aime pas faire attendre qui patiente dans le secret de sa faim.

la cuisinière a revêtu le chemisier de la joie
coupable de ne servir à sa table que l’immortalité.

au premier appel nous saisirons au vol les enfants agités
qui tapent contre les mollets
alors nous verrons bien quel sera le premier de nos regrets.



III


des bras qu’on n’aura pas tenus
des coudes
des bras s’enfoncent dans
des aiguilles
près des taxis des bras
tournent leurs marques vers la mer
mesurant la distance
entre le temps qu’il fait et le temps qu’il faut pour
statuer sur l’avènement
de la parole.

dans des peignoirs de bain
des corps tintinnabulant
se meuvent à travers
les hôtels. des branches
élaguées tombent
sur le trottoir sans un mot.

IV


la faim exige la joie de la houe.

c’est dans ces moments si particuliers du soir que sont l’été
les os et les guêpes
que j’aime le mieux vous parler.

seriez-vous ces fleurs rassemblées
intrépides le mimosa pendrait à ses branches
par-dessus le ciel –
palmiers cactus enfeus. « est humain qui le sera. »

et par toute la ville
on peut voir chaque fiancée
dénouer ses cheveux de jais
avec la même appréhension.

V


entre deux agneaux les hommes causent la tonte
est fatigante. les plaies suent et les murs
les yeux mouillés de larmes
enfermant un secret
dont l’écoulement de la langue
a la garde en son don
et son désistement.

le vol des accenteurs passe au-dessus des dunes
mais celui qui observe les hommes
ne parle qu’avec les animaux que nous serons capables
de devenir.

les hommes ont coutume de souffrir
de moins loin que leurs larmes.

qui les guide et les dévisage celui-là
verra-t-il le jour quand on nous dira forts
ou sinistres ?

VI


le visage levé dans les lignes nous ne faisions qu’entrevoir
quel ravissement pourrait servir à quel présent.

la pluie clapote dans les flaques est-ce un sourire bienveillant
derrière la lampe verte qui nous empêche de vivre ?

dorénavant nous jouons dans le jardin maigre.
la vie nous gâte
d’or et navrante. lorsque viendra le moment de mourir
j’aurais pu être moi.

30 mai 2024
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