Matthieu Guérin | Cuisine - 1 - 3 (1)
Il est venu dans cette partie de la cuisine pour prendre un torchon. Sans y penser. les torchons sont toujours là. même l’été. On est en août. Ils sont toujours là parce que sous la fenêtre il y a un renfoncement du mur avec un radiateur qui les fait sécher l’hiver. Mais même l’été ils sont là.
Quand il vient il lève toujours les yeux pour regarder la cour de la maison. Par réflexe. Par habitude. Peut-être par plaisir. mais peut-être qu’il ne le sait pas. Cette image-là cadrée par la fenêtre comme une photographie au mur il l’a toujours vue. quand il vient. Il n’habite pas là. Cette image-là cadrée par la fenêtre a toujours déclenché une émotion chez lui. Une émotion ou un début d’errance. de sa pensée. Elle l’accompagne.
Il voit le fond de la cour. Par cette fenêtre on voit le fond de la cour. On voit en fait la moitié de la cour. l’herbe sur le sol. le petit chemin marqué dans l’herbe à force de passage. le mur à droite bordé de fleurs. le grand porche non fermé qui permet de faire passer les véhicules. et le fond. le mur du fond. C’est cette image qu’il voit. qui lui reste en tête. Qui lui reste en tête toute l’année quand il essaie de se remémorer les lieux. Le mur du fond est le mur d’un ancien magasin de stockage du temps où le maison était habitée par des exploitants agricoles. Le mythe familial. des racines qui remontent tellement loin qu’on ne sait plus. mais forcément il y a eu des exploitants puisqu’il y a ce bâtiment. et les outils. Il y a des siècles peut-être. Par la fenêtre on voit donc ce mur. percé d’une porte. en bois peinte en rouge lie de vin délavé. Au dessus une fenêtre. fermée par un volet en bois grisé par les intempéries. fermé de l’intérieur. Entre les deux passe une treille. On est juste après le déjeuner. L’ombre du bâtiment de droite coupe le mur en biais.
Il ne voit pas le reste. Il ne voit pas les enfants qui sont repartis jouer dans la cour. qui crient. qui courent. Ils jouent. ils sont heureux. Il ne voit que cette image du mur de la porte de la fenêtre. Parfois. parfois elle lui pèse. Parfois non. elle rassure.