Stéphane Lambion | je ne vous mens pas

physiquement j’ai connu des jours meilleurs. il m’est arrivé, physiquement, de prospérer davantage. je ne vous mens pas. mon corps, disons, a dégagé plus de lumière par le passé. ce qui ne veut pas dire : mon corps n’éclaire plus. mais : prévoyez une lampe de poche.
 
mes capacités intellectuelles, ne nous mentons pas, sont moins bonnes que d’habitude. ce matin, j’ai passé une dizaine de secondes à gratter du bout de l’ongle un point blanc sur mon écran avant de comprendre que c’était le bout du curseur. ce n’est pas un mensonge. n’allez toutefois pas croire que cette absence de vivacité d’esprit me caractérise. le temps présent est, disons, exceptionnel.
 
je n’ai pas toujours bu cinq infusions au gingembre entre quatorze heures et dix-sept heures. je ne pourrais pas dire, et vous non plus, ne mentez pas, qu’il est dans mes habitudes de manger un demi-pot de miel en trois jours. ces faits sont intégralement dus à des circonstances inédites c’est-à-dire sur lesquelles, je ne vous mens pas, je n’ai aucun contrôle. la plupart de mes amis pourront en témoigner s’ils sont mes amis.
 
j’ai trois couvertures au-dessus de moi, il fait vingt-sept degrés dans la chambre selon le thermomètre du radiateur qui tourne en continu. littéralement. je ne vous mens pas : c’est un radiateur à tête rotative. j’en ai fait l’acquisition très récemment. c’est pourquoi peu d’amis, et encore moins de ceux qui ne le sont pas, pourront en témoigner. mais je ne vous mens pas.
 
je n’ai pas changé de caleçon depuis hier. c’est vrai. ou avant-hier. ou quelque chose dans le genre de ce qui précède avant-hier. on ne change pas d’uniforme à sa guise. vous comprenez : je mettrai un nouveau caleçon quand mon corps aura gagné en lumens. mais vu la façon dont se profilent les choses, ce n’est pas pour tout de suite. il ne faut pas se mentir.
 
on se mentira quand on connaîtra des jours meilleurs.
 
 
 

(Ce texte est le dernier de ce journal avant l’automne prochain.)