Philippe Aigrain | Fodé #2
tes seize ans déniés
à nouveau l’errance
si c’était mon pays
il serait ta terremais mon pays m’étrange
en te maltraitant
nous faut le migrer
le changer sur placeMIE, 13 avril 2017
À nouveau Fodé erre après un temps où on était parvenu à ce qu’il soit reconnu – fut-ce temporairement – pour ce qu’il est, logé, nourri et envoyé jouer avec d’autres jeunes adolescents à ce foot dont il connaît tous les grands joueurs européens, petit temps d’apaisement où il redevient enfant, baisse un peu ses défenses contre la cruauté bureaucratisée qui va bientôt le rattraper. Ils sont nombreux les gardiens de la porte de la loi, chacun se cachant derrière les autres, et face à chacun tout sera retenu contre lui, surtout de vouloir toujours dire la vérité, de ne jamais coller aux préjugés qui ont contaminé tous ceux qui sont supposés le juger (ici cela s’appelle évaluer) mais qui avant cela tentent d’en refouler le plus possible en les remettant entre les mains de la police pour l’expulsion ou le centre de rétention, même à 13 ans, au nom d’une prétendue évidence de leur non-minorité. L’évidence que des gens nombreux, divers, qui ne savaient rien de lui, l’aident, suivent son parcours, sont prêts à dénoncer les abus, ne fait qu’aggraver son cas, tout est fait pour le punir de cette anomalie. Cacher cette solidarité que je ne saurais voir et qui menace les fondements de la forteresse nationale. Comprenez que si vous essayez d’aider, de faire respecter des droits, vous ne faites que du mal, laissez faire les gardiens de la loi. Lorsqu’il dira : partout on l’on va, il y a de bonnes personnes, cela aussi sera retenu contre lui. Lorsque de justesse on empêchera une pratique illégale, insultes et menaces lui tiendront lieu de dommages et intérêts. Cet édifice ne paraît tenir qu’à l’assentiment apeuré de quelques uns, qu’à la dissimulation de la réalité de ce que sont les réfugiés, les migrants pour la grande masse des autres. Il pourrait suffire que quelques paroles s’élèvent, d’un rien pour que le feu prenne à la prairie de révolte contre l’inhumain, mais errance, mais tout ce temps perdu pour qu’il accède à ce qui est son seul but, l’éducation. Une bonne personne, il en est déjà une, mais il veut en être un jour une grande, grande bonne personne, ça vaut bien président, cela. Mais à qui demanderai-je conseil comme à un marabout dans la brousse parisienne maintenant qu’il erre je ne sais où ?