Rompre l’isolement

Philippe Fachetti,
Médiathèques du groupe hospitalier Saint-Louis, Lariboisière, Fernand-Widal
(Paris 10).
Résidences de Dominique Sels (2018), Dominique Fabre (2020), Ludovic Bernhardt (2022), Lancelot Hamelin (en cours).



Pourquoi avoir décidé d’accueillir une résidence d’auteur ?

En tant que médiathèque d’hôpital, c’est pour nous un moyen d’offrir un espace de création et de liberté d’expression ànos patients en dehors des périodes consacrées aux soins. Cela permet également de créer un rapport différent entre le personnel soignant et les patients qui participent conjointement aux rencontres avec l’auteur. Ces moments de discussion et de débat autour d’une œuvre permettent àcertains de prendre la parole et ainsi de rompre une forme d’enfermement ou d’isolement lié àleur pathologie. Lors des ateliers d’écriture, le filtre de la fiction est souvent l’occasion pour les patients d’exprimer des réalités trop compliquées àraconter oralement.

Pourquoi ces auteurs en particulier ?

Ce fut àchaque fois une histoire de rencontre et d’envie mutuelle de travailler ensemble qui a dirigé nos choix.
Pour chacun des auteurs que nous avons reçu en résidence, nous avons procédé de la même façon, une première rencontre avec le bibliothécaire avec une présentation des lieux et les différentes possibilités de service et de type d’ateliers que nous pouvions mettre en place, ainsi que les attentes de l’auteur pour que la résidence se passe au mieux pour chaque partie. Dans un deuxième temps nous sommes allés visiter les locaux et rencontrer les équipes des services qui pouvaient accueillir la résidence et pour lesquels cela avait un sens. La rencontre avait lieu avec une équipe médicale le plus large possible (médecins, infirmiers, aides-soignants, ergothérapeutes etc.) et ensuite, nous avons établi le programme de chaque résidence et le type d’ateliers envisagés avant de construire nos différents dossiers.

Comment se passe l’accueil d’un auteur en résidence dans votre médiathèque ?

La médiathèque sert en fait de lien entre les auteurs et les différents services qui les accueillent (oncologie, addictologie et psychiatrie). Après avoir rencontré les auteurs et écouté leur attente, je me mets en relation avec un service susceptible de les accueillir et, pour lequel la résidence peut être un plus dans le parcours de soins des patients. Ensuite nous établissons un calendrier d’intervention de l’auteur et développons autour de sa présence dans nos murs quand cela est possible une programmation culturelle pouvant accompagner la résidence (visites de musées en rapport avec les thèmes abordés, parcours dans les rues de Paris àla recherche d’éléments visuels pouvant servir àla création de textes, achats et sélection d’ouvrages pouvant servir de support aux ateliers etc.).

Voyez-vous des différences notables entre ces auteurs ? Quelle expérience en avez-vous retirée ?

Du fait des diverses personnalités et des méthodes de travail propres àchacune d’entre elles, chaque résidence s’est déroulée avec des approches d’ateliers totalement différentes.
Dominique Sels a mis l’accent sur des œuvres emblématiques de la littérature, autour desquelles elle livrait une explication sur leur construction, le contexte historique et les éventuels sens cachés qu’elles pouvaient contenir. La présentation était accompagnée de lectures àvoix haute d’extraits de l’œuvre, par elle-même et les patients qui participaient àces ateliers. En addictologie, les lectures faites àvoix haute par les patients leur offraient la possibilité de vaincre leur timidité ou leur perte d’estime de soi dans un espace bienveillant où aucune question ou avis n’était soumis àun jugement mais donnait place àdes débats et échanges riches et constructifs autour des thèmes abordés.
Avec Dominique Fabre, nous avons orienté sa présence vers la création de textes courts et le regard porté sur ce qui nous entoure ; pour cela, nous avons effectué des déambulations dans Paris et des visites de musées où la prise de photos servait ensuite de support àla création de textes. En fin de résidence des panneaux comprenant des photos et les textes des participants ont été maquettés par le service de communication interne de hôpital, ils ont été ensuite exposés dans les services de soins et la médiathèque.
Avec Ludovic Bernhardt les ateliers se sont plus organisés autour l’écriture de poésie expérimentale/contemporaine par le biais de jeux d’écriture de type cut-up. Il a également partagé son expérience de création poétique et présenté les œuvres d’auteurs contemporains, ce qui a permis aux participants de découvrir tout un pan de la littérature moins connu du grand public. En fin de résidence, trois livrets reprenant une partie des textes créés par les patients ont été réalisés. Ils ont ensuite été offerts aux participants des ateliers et àl’ensemble des personnes ayant permis de mener àbien ce projet.

Comment selon vous l’accueil d’un auteur en résidence s’inscrit-il dans la mission de service public de diffusion de la lecture ?

Des temps de d’échange autour du processus de création littéraire et du monde de l’édition sont prévus durant chaque résidence. La promotion des médiathèques et centres de documentation est faite par le bibliothécaire lors des moments d’échanges entre les participants.
Lors des différentes résidences, les ouvrages utilisés ou mentionnés pendant les ateliers font l’objet d’acquisition en plusieurs exemplaires afin de permettre aux participants qui le souhaitent de les consulter et emprunter facilement.

Que vous apporte la présence de l’auteur ?

Les résidences nous permettent de communiquer autour des actions culturelles que nous menons dans les établissements desservis par la médiathèque. Elles apportent un regard différent sur nos activités et permettent également de faire la promotion de nos fonds et des activités que nous menons.

Si des rencontres et lectures publiques sont organisées, y a-t-il des différences entre les événements habituels et ceux dans le cadre d’une résidence ?

Oui, habituellement, nous venons dans les services avec un intervenant (comédien pour une lecture de texte, conteur, conférencier de musée etc.) mais de préférence pour le cas présent, du fait de la participation des patients d’un service, nous préférons leur proposer de sortir du service et de faire ses évènements hors les murs, pour d’autres patients ou bien dans un lieu inhabituel.

Cette proximité prolongée avec un auteur change-t-elle votre regard sur son travail ? et sur le processus de création en général ?

Oui, bien sà»r avec certains des auteurs nous avons des moments de discussion autour de leur projet d’écriture, ce qui m’a permis de constater l’évolution de leur cheminement et même parfois un changement total d’approche ou de sujet. A titre purement personnel je trouve cet apport très enrichissant.

L’expérience débouche-t-elle sur des suites possibles ?

Oui, avec certains auteurs, nous avons évoqué l’idée de les accueillir ànouveau dans le même service pour une continuité ou un nouveau projet.
Les services de soins avec lequel nous avons collaboré pendant ces résidences ont tous émis le souhait de prolonger ou renouveler l’expérience avec le même auteur ou un autre.
A chaque changement d’auteur il y a toujours un moment de comparaison avec le déroulement du précédent car leurs approches sont différentes, mais tous ont rencontré l’adhésion des participants et des équipes soignantes.

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