En quête de miracle, récits de l’art contemporain

Portant une paire de patins à glace, eux-même pris dans deux blocs de glace, une artiste joue du violon au coin d’une rue. La performance se poursuit jusqu’au moment où, la glace ayant fondu, la violoniste perd l’équilibre.

C’est autant la nature et le statut de l’objet artistique que le rapport de l’acte de création à sa durée propre et à la durée de la réception esthétique qu’interroge cette performance de Laurie Anderson. On y voit comment elle l’a installée, comment elle a mis en en place les conditions d’un dispositif qui programmait, dès sa conception, sa disparition.
Il en est resté probablement quelques photos, comme des paysages de land art traversés par Richard Long, dont il est également question dans ce livre sous-titré Cinquante épisodes extraits des annales de l’art contemporain, qui se propose de raconter et décrire, sans photos ni illustrations, et sans un commentaire, des actes, des œuvres et des intentions artistiques qui appartiennent à la seconde moitié du XXe siècle.

En quête de miracle est le titre d’une performance non visible - peut-on parler d’œuvre posthume ? - du Hollandais Bas Jan Ader. Raphaël Rubinstein la décrit ainsi :

Un artiste d’une trentaine d’années décide que sa prochaine œuvre consistera en une traversée de l’Atlantique en solitaire sur un voilier. (...)
L’artiste n’a qu’une faible expérience de la voile et choisit pour embarcation un dangereux petit bateau (4 mètres) sans moteur auxiliaire. Un matin de juillet, en 1975, il prend la mer à Cape Cod. Il a de l’eau douce et de la nourriture pour 180 jours, mais a bon espoir d’effectuer la traversée en moins de 90 jours. Il emporte aussi un appareil photo et un magnétophone afin de garder une trace de sa traversée. Quatre-vingt-dix jours plus tard, on est toujours sans nouvelle de l’artiste. Au bout de 150 jours, des recherches sont entreprises. Des mois se sont écoulés lorsque l’épave du bateau est repérée par l’équipage d’un chalutier espagnol à environ 150 miles à l’ouest de l’Irlande. L’œuvre devait s’intituler En quête de miracle...

Les noms des artistes, énumérés par ordre alphabétique à la fin de l’ouvrage avec des renvois aux pages qui les concernent, ne troublent aucun récit par de pseudo-effets de connaissance ou de reconnaissance, même quand on devine ici et là qu’il s’agit de Georges Perec, Roman Opalka ou Joseph Beuys. C’est d’ailleurs un des paradoxes de ce livre intelligent que de passer sous silence le nom de l’artiste là où très souvent celui-ci s’expose et expose son corps, matière et support de nombreuses performances, afin de donner à comprendre certains enjeux de l’art contemporain.
Parmi ces épisodes, pas tous aussi irrémédiables que celui de Bas Jan Ader, figurent du découpage de vêtements (Yoko Ono), des peintures exécutées à l’aveugle (Giuseppe « Pinot » Gallizio, Noël Dolla), des œuvres qui se dégustent (Felix Gonzales-Torres), des films (Rebecca Horn), un corps mis à disposition de ceux qui le regardent (Marina Abramovic), un enfermement avec coyote (Joseph Beuys), des tableaux exécutés par d’autres que les artistes (John Baldessari, Koni Scharlin), des lancers d’ingrédients (Hermann Nitsch).

En quête de miracle, traduit de l’américain par Marcel Cohen, a paru aux éditions Grèges. L’auteur, Raphaël Rubinstein, a publié également Peintures croisées (L’Harmattan, 1997) ainsi que, encore non traduits, The Basement of the Café Rilke, Postcards from Alphaville, Polychrome Profusion (Hard Press, 1997, 1999, 2003).

Dominique Dussidour

17 décembre 2004
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