Esprits animaux

Il a tenu son feuilleton quotidien dans Libération, du 19 juillet au 28 août 2004, sans discontinuer. Et tous les matins, c’était un accompagnement délicieux au petit-déjeuner, une visite en belle compagnie : non pas « Des souris et des hommes », mais « Un animal, un philosophe ».

Le recueil d’articles de Robert Maggiori, prof de philo au lycée Couperin de Fontainebleau, est publié chez Julliard et l’on y retrouve le charme, moins contraint par la rubrique journalistique, de ses explorations qui ne sont désormais plus fugaces, dans la jungle des bêtes familières ou non des penseurs ! Même si aucune femme (George Sand ?) ne figure au catalogue...

En relisant ces pages, qui feraient un manuel redoutable de « philozoophie » pour classes terminales, on redécouvre alors que nos grands hommes ont su poser un regard aigu sur ces... esprits animaux et y trouver marotte ou matière à disserter.

L’éléphant de Kant : « Lorsqu’ils arrivent dans un champ de tabac, ils deviennent ivres et ils frappent de tous côtés comme des fous. S’ils arrivent la nuit dans un village de Nègres, ils écrasent les habitations comme des coques de noix. Quand il n’est pas excité, l’éléphant ne cause aucun dégât. »

Le rouge-gorge d’Alain : « S’il daigne piquer quelques mies de pain, ce n’est pas en glouton. Non comme un voleur, mais comme un ami. Bientôt rassasié, il part comme l’éclair, et sur quelque souche noire, il module la chanson de l’automne (...). Il n’est point de bienvenue qui vaille la sienne. Haut sur pattes (...) il salue comme un ambassadeur. »

Le chat de Derrida : « Il a son point de vue sur moi. Le point de vue de l’autre absolu, et rien ne m’aura jamais donné tant à penser cette altérité absolue du voisin ou du prochain que dans les moments où je me vois nu sous les regards d’un chat. »

Robert Maggiori a ainsi rassemblé un singulier bestiaire amoureux où les félins, tortues, étourneaux, fourmis, castors, cygnes, grues, ânes, paons... dansent le carnaval du gai-savoir.

Tandis que la littérature pointe également, ici et là, le bout de l’oreille.

Dominique Hasselmann

14 février 2005
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