Fin de l’histoire | François Bégaudeau
« Elle est là en pleine lumière et ils regardent l’ombre qu’elle projette derrière elle. »
Quand les médias poussent la brouette à événements « faut que ça avance, faut que ça émeuve ». Il est bon que la littérature les contraigne à rester en place. À ne pas se défiler trop vite.
C’est l’enjeu du dernier livre de François Bégaudeau, Fin de l’histoire, publié aux éditions Verticales, dont le dispositif d’écriture restitue dans sa totalité la conférence de presse de la journaliste Florence Aubenas, quelques jours après sa libération d’Irak en juin 2005. Soit quarante-cinq minutes et 14 secondes d’un événement que l’on a pu suivre en direct ou pas.
Sous forme de commentaire ou de digression – difficile de qualifier la façon de faire - François Bégaudeau s’immisce dans l’ici et maintenant d’une conférence de presse plutôt improvisée.
Pas de discours, mais du franc parlé. Presque une conversation entre amis puisque la femme qui raconte exerce le même métier que ceux qui sont venus l’entendre.
Ce que tente alors François Bégaudeau, c’est de déceler le « sous-entendu » - le mot est à prendre ici très au sérieux. Et peut-être même « le mal entendu ». Ralentir le débit pour repêcher ce que la parole jette à la va-vite dans le micro. Refaire du sens au-delà de l’émotion.
« C’est à elle
C’est maintenant
(…)
Une minute + une minute + une minute, et les secondes aussi, une + une, comme elles viennent, comme elles déroulement le strict programme de leur actualité. »
Aussi séduisant soit-il, le dispositif génère une relation rugueuse entre le texte et son lecteur. Rien d’évident. Il n’y a pas empathie immédiate. On lui en voudrait presque à François Bégaudeau d’intervenir ainsi dans l’intimité de notre propre relation à l’événement.
Et il y a de l’arrogance à vouloir ainsi arrêter une parole en mouvement car, à l’épreuve de l’écrit, l’oral est toujours décevant – en dessous du réel. L’écrit gomme la gestuelle, les silences et les signes de connivence entre personnes présentes (l’indicible des corps).
Décontextualisé, le propos oral s’affaiblit . Ainsi les heu sont plus insupportables sur le papier qu’à l’écoute.
Mais le lecteur a envie de faire confiance à celui qui nous invita dans un autre texte, Entre les murs, à entrer dans une classe et à se frotter aux enjeux du langage entre élèves et enseignant. Là où les mots esquivent la rencontre trop directe, que ce soit dans la bouche de l’adulte ou celui des adolescents.
Et il y a de l’intérêt à décrypter la manière dont Florence Aubenas construit une fiction à partir d’un vécu (son vécu) si récent. Et le livre de souligner alors ce qui fait barrière au réel, ce qui empêche ou contraint la mémoire.
De la pudeur – car celle qui raconte doit garder son corps à distance ; de la diplomatie - car il y a des enjeux politiques à respecter ; de la séduction – celle qui raconte ne veut pas ennuyer ceux venus entendre l’histoire.
Et Florence Aubenas, telle une one-woman-show cherche à captiver son public avec de l’humour.
« Il fallait qu’elle dise qu’elle a été battue et cela ne se dit pas. Pour enjamber ce mur d’impasse elle se donne de la vitesse – la vitesse sauve de tous les mauvais pas : sitôt le battu projeté au-devant d’elle, elle le recouvre d’une blague qui prend forme d’une souriante prise à témoin de l’assistance. »
Mais ce n’est pas le tout du livre. Il y a une autre tentative de la part de François Bégaudeau, plus inattendue et plus complexe. Car la femme qu’il observe n’est pas l’icône affichée des espaces publics. L’héroïne façonnée par les médias. Rien de cela. Celle qui parle et tente de raconter est une femme tout à son affaire. Une femme bien plus complexe que la madone des unes de journaux. Elle ne veut pas être enfermée dans une légende. Rien d’héroïque à vouloir survivre.
« Voilà, c’est le deuxième piège : les hommes déjouent les envies d’envol des femmes en les lestant d’une âme. En les convainquant qu’elles sont : profondes. Qu’elles sont : abyssales. Que chacune d’entre elles sécrète une galaxie : spirituelle. »
La femme qui parle, est réelle. Elle a été prise en otage par un groupe d’hommes. Elle raconte sans surjouer sa féminité. Car sa féminité n’est pas une fiction. Elle est une femme journaliste qui se présente devant les caméras et les appareils photo, dans la tenue qui lui plaît. Dans une posture qui lui est familière.
«
(…) elle n’a rien gommé, rien retouché avec photoshop, édulcoré ni les poils sous les aisselles ni les avant-bras dans lesquels elle se mouche parfois, c’est une femme concrète, elle ne sort pas d’une de ces toiles où brandissant leur pinceau les peintres ont craché une idée de femme issue de leur braguette mystique. »
Ce que Bégaudeau tente de nous dire alors est moins immédiat. On croit comprendre mais on n’est pas tout à fait sûr. Jusqu’à cet énigmatique nous avons gagné, un je masculin qui vient se conjuguer à une liste de noms féminins. Des femmes plus ou moins célèbres qui ont su s’imposer dans une société au masculin dominant, sans se recouvrir des stigmates de la virilité.
Le livre nous quitte entre deux portes. Tout n’a pas été dit. L’écran est silencieux. La femme a cessé de parler. L’homme a cessé d’écrire. Le lecteur poursuit la conversation avec le livre bien après qu’il est rangé dans la bibliothèque. Ce n’est pas une mauvaise chose.
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