Jacques Derrida, Foi et savoir
Ce texte de Jacques Derrida (suivi de Le Siècle et le Pardon) fait écho à une rencontre informelle à laquelle le philosophe prit part, le 28 février 1994, sur l’île de Capri, et durant laquelle fut discutée la question du comment "penser abstraitement la religion aujourd’hui ?"
Est-ce-que ce texte me semble si lumineux parce que je le lis d’une position géographique similaire (Malte), parce que l’insularité oblige, comme naturellement, à une plus fine écoute du vent, à avoir, plus fort que sur le continent, l’impression d’un ailleurs, à sentir glisser sur la mer des odeurs de prairie et de désert ? L’île, réponse de nos demeures sédentaires à "l’ouvert" ?
L’ailleurs est la raison de toutes les îles, comme la ligne mouvante de leur appariement trace et défait notre rêve de liberté, un désir de vie nomade. Vivre sur une île, c’est faire l’expérience d’un double enfermement (mineral et aquatique), d’un "desert dans le désert" (Derrida), d’une position impossible, intenable, définie par deux forces antagonistes : l’une ramassée dans un effort de résistance à l’engloutissement, l’autre portée par la nécessité de se quitter, de s’illimiter, de percer l’horizon. Réduite à ces deux forces contraires, mais qui ne s’annulent pas (contrairement aux forces héraclitéennes), l’île, à proprement parler, n’existe pas, elle n’est rien.
"Foi et savoir" discute ce rien, en l’affranchissant de toute connotation négative, en le désignant comme lieu "plus ancien que toutes les oppositions", "radicalement hétérogène au saint et au sauf, au saint et au sacré". Ce lieu est Khôra, "qui ne se présente jamais comme telle, n’est ni l’Être, ni le Bien, ni Dieu, ni l’Homme, ni l’Histoire. Elle (Khôra) leur résistera toujours, elle aura toujours été [...] le lieu même d’une résistance infinie, d’une restance infiniment impassible : un tout autre sans visage. "