« La prose du monde » : Olivier Py dans Libération

Olivier Py est écrivain et metteur en scène. Directeur du CDN d’Orléans, il a présenté cet été au festival d’Avignon sa trilogie des Vainqueurs. Libération (22-23 octobre 2005) lui a confié le Journal de la semaine. Il l’a intitulé « La prose du monde ». Extraits.


Ce ne sont pas les idéologies qui font l’histoire, mais les récits. Partout la haine contre la fiction bat son plein, à la télévision elle règne. On voudrait nous faire croire que l’information nous fait connaître le monde, c’est le récit qui le fait. Que sait-on de la vie d’un émigré africain ? D’une femme bulgare contrainte de vendre son enfant ? D’un Nord-Coréen qui retrouve sa famille ? L’information, particulièrement télévisuelle, rouille les mécanismes de l’empathie et donc de la révolte, elle nous habitue à une déploration vide par un jeu ensorcelant d’échelles : l’échelle trop grande nous fait croire trop petit, notre engagement semble vain ou vaniteux. Ce que dit la télévision, c’est que l’individu n’existe pas, il n’existe pas puisque la télévision ne s’adresse à personne. La syntaxe du présentateur est celle d’un homme qui parle à un trou, son regard est celui d’une mort de la conscience devant l’irréductibilité du réel. Mais trop de preuves épuisent la vérité, trop de réel nous conduit à la folie.

Ce réel n’est que la prose du monde.

Le récit qui délivre, nous ne le trouvons pas encore dans les livres d’histoire, ni dans les actualités, les poètes seuls peuvent y prétendre. Plus exactement, tous ceux qui s’efforcent de faire le récit d’une vérité exilée sont des poètes. La mort de l’art nous annonce peut-être la naissance d’un poème nouveau. La fin de l’histoire n’est peut-être que la fin de son univocité, rien ne pourra empêcher les Troyens de dire leur catastrophe, et dans cet espace de dignité ultime, de faire une métaphore de leur présence au monde.

©Libération

22 octobre 2005
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