Mario Rigoni Stern | Le poète secret
Vivant en harmonie sur le haut plateau d’Asiago, Rigoni Stern continue d’interroger le passé.
« Sur la couverture de mes livres, il y a mon nom, mais ce sont les voix de mes camarades qu’il faut entendre. »
Cette évidence, Mario Rigoni Stern aime, à chaque parution, la rappeler. Ce nouveau livre ne déroge pas à la règle. Homme de mémoire, il y convoque une fois de plus les chasseurs alpins italiens qui vécurent avec lui la retraite de Russie en janvier 1943. Ceux-ci n’ont jamais cessé de l’accompagner. Il les revoit lors de longues marches en terrain hostile. Dit leur souffrance, leur humanité. On repère, d’un récit l’autre, de nombreux personnages rencontrés auparavant dans d’autres textes. Il suffit souvent d’un détail, d’un doigt pointé sur une carte de l’Europe de l’Est ou d’une lettre récemment reçue pour que le passé resurgisse.
« Je relis des cartes postales en franchise, avec des illustrations héroïques et des phrases de Mussolini ou de D’Annunzio. A partir de l’écriture, de la brièveté de l’écrit, de la date, je retrouve une situation dramatique. »
Ses souvenirs, très vifs - l’un des moments les plus intenses du recueil est son Retour au camp I/B où il fut enfermé il y a soixante ans - ne l’empêchent pas de vivre au présent, en équilibre et en harmonie sur le haut plateau d’Asiago où il est né en 1921 et où il réside toujours. Se maintenant en lisière, proche de la nature et des animaux, s’occupant de ses ruches ou déblayant la neige devant sa porte certains matins d’hiver.
L’oeuvre de Rigoni Stern est celle d’un mémorialiste minutieux. Les péripéties d’un siècle (le vingtième) et d’un pays (l’Italie) où longtemps tout ne fut que "faim, mort, misère" y sont décrites de l’intérieur - non pas par un observateur mais par un acteur - avec des mots simples, une écriture limpide, terriblement efficace.
Au centre du livre figure l’hommage à Primo Levi. On sait les liens d’amitié qui unissaient les deux hommes. Leur passé commun. Ce devoir de mémoire (cette "nécessité morale") que l’un et l’autre ont accompli.
« Hier, cher Primo, après qu’un journaliste m’eut appris par téléphone ton départ, je me suis un peu rasséréné en feuilletant tes livres. Entre les pages du Système périodique, j’ai trouvé une lettre de toi, et elle m’a peut-être fait comprendre ton geste. »
Cette lettre (écrite en 1987, au lendemain du suicide de Primo Levi) est suivi d’un autre récit, également consacré à l’auteur de Si c’est un homme et de La Trêve.
L’une des autres présences fortes de cet ensemble (publié en 2004 en Italie et récemment en France grâce à La Fosse aux ours) est celle d’un discret, Le poète secret, tenancier d’une auberge sans enseigne au village de Sernaglia della Battaglia, « au pied des montagnes à gauche du Piave. »
« L’aubergiste poète s’appelait Giocondo Pillonetto et seulement deux ans après sa mort ses poésies ont été publiées dans une plaquette pour laquelle Andrea Zanzotto a voulu écrire une préface. »
Rigoni Stern lui rend ici un bel hommage. La pluie de Chagall, reproduite en couverture (voir logo) lui va on ne peut mieux.
Entre deux guerres, de Mario Rigoni Stern, sort également, ces jours-ci, en collection 10/18.