Ovide | Les métamorphoses, Livre XI, traduction Marie Cosnay
Couvert d’un manteau de safran à travers l’air
immense s’en va Hyménée et vers les rives des Ciconiens
il avance. L’appel d’Orphée l’appelle en vain.
Il est là. Mais il n’apporte ni paroles rituelles
ni visage joyeux ni rien d’heureux.
Sa torche, qu’il tient, siffle une fumée qui fait mal aux yeux,
c’est tout. Il ne trouve pas le feu, même en la remuant.
La suite est pire que le présage : pendant que la nouvelle
mariée se promène sur les herbes avec la foule des Naïades,
elle meurt, d’une dent de serpent reçue dans le talon.
Après que le poète du Rhodope dans les ciels d’en haut
l’a bien pleurée, il veut essayer les ombres
et ose descendre au Styx par la porte de Taenaria.
Après les peuples légers et les images passées au tombeau,
il approche Perséphone et celui qui tient les royaumes répugnants,
le maître des ombres. Il gratte les cordes pour le chant,
et dit : « oh dieux du monde posé sous terre
où l’on tombe quand on est mortel,
si possible, sans imbroglios ni mensonges,
laissez-moi dire vrai, je ne suis pas descendu ici pour voir
le Tartare ni pour vaincre les trois gorges poilues
de serpents du monstre fils de Méduse.
La cause de mon voyage est ma femme. Une vipère foulée au pied
a répandu en elle son poison et lui a pris les années à venir.
J’ai voulu supporter, je ne dirai pas que je n’ai pas essayé.
L’amour a vaincu. Ce dieu est bien connu sur la rive d’en haut.
L’est-il ici aussi ? Je ne sais. Je suppose que oui, il l’est ici aussi.
Si ce qu’on dit de l’ancien enlèvement n’est pas un mensonge,
vous-mêmes, l’amour vous unit. Moi, par ces lieux pleins d’effroi,
par le chaos immense, par les silences du grand royaume,
je vous en prie : défaites le destin précipité d’Eurydice.
On vous doit tout et après un peu de temps,
plus ou moins vite, nous nous précipitons au même séjour.
Nous y avançons tous, c’est notre dernière maison ; vous
possédez le plus long royaume du genre humain.
Elle aussi, à l’âge mûr, lorsqu’elle aura achevé ses années,
elle sera sous votre loi. Plutôt que le don je réclame l’usage.
Si les destins refusent le pardon à ma femme, sûr,
je ne veux pas revenir. Réjouissez-vous alors de notre mort à tous les deux. »
Il dit et bouge les cordes sur les mots.
Les esprits qui ont perdu le sang pleurent. Tantale ne cherche plus
à retenir l’eau fugitive et la roue d’Ixion s’arrête
et les vautours ne déchirent plus le foie et les Danaïdes restent
sans leur vase et sur ton rocher, Sisyphe, tu t’assieds.
On raconte que pour la première fois, vaincues par le poème,
Les Euménides mouillent leurs joues. La femme du roi
ne veut rien refuser au suppliant, celui qui règne en bas non plus ;
ils appellent Eurydice. Elle était au milieu des ombres récentes ;
elle marche d’un pas ralenti par sa blessure.
Orphée du Rhodope la reçoit, avec elle la loi
de ne pas retourner ses yeux jusqu’à ce qu’il sorte
des vallées de l’Averne. Sinon le cadeau sera vain.
Ils prennent un sentier grimpant dans les silences lourds,
abrupt, obscur, serré de ténèbres épaisses.
Ils ne sont pas loin du bord du dessus de la terre.
De peur qu’elle lui manque, impatient de la voir,
l’amant tourne les yeux, aussitôt elle glisse en arrière.
Elle tend les bras, lutte pour être saisie, saisir,
n’attrape rien, la pauvre, que les airs qui échappent.
Mourant une deuxième fois, de son époux elle ne se plaint pas
(de quoi se plaindre, si ce n’est d’être aimée ?)
mais dit un dernier « adieu », qu’il peut à peine
entendre ; elle roule au lieu où elle était avant.
Devant la mort double de sa femme, Orphée est stupéfié.
Comme qui, apeuré, a vu les trois têtes du chien - celle du milieu
porte les chaînes. La terreur ne le quitte pas
avant sa première nature : à travers son corps, un roc paraît.
Comme Olenos, qui a pris sur lui ta faute, a voulu sembler
coupable, et toi, oh si confiante en ta figure,
pauvre Léthéia, coeurs autrefois
unis, maintenant pierres, que l’Ida humide porte.
Orphée supplie en vain, il veut passer encore une fois,
Le batelier l’écarte. Sept jours il reste
assis sur la rive, sans don de Cérès.
L’amour, la douleur de l’esprit, les larmes le nourrissent.
Il se plaint : les dieux de l’Erèbe sont cruels. Il se retrouve
tout en haut du mont Rhodope et sur l’Hémus battu des vents.
Pour la troisième fois le Titan a fini l’année, fermée
par les Poissons des vastes mers. Orphée fuit Vénus et toute
femme, soit parce que les choses ont mal tourné pour lui,
soit parce qu’il a donné sa foi. Beaucoup ont l’ardeur
de s’unir au poète. Beaucoup souffrent d’être repoussées.
Chez les peuples thraces, il est l’auteur de ceci : transférer
l’amour sur de tendres garçons, cueillir l’avant de la jeunesse,
le printemps bref, les premières fleurs….
Il y avait une colline, sur la colline une aire très plane
de campagne que les herbes du gazon verdissaient.
Il n’y avait pas d’ombre en ce lieu. Après que le poète, fils des dieux,
s’y est installé et a fait bouger les cordes qui résonnent,
l’ombre vient en ce lieu. L’arbre de Chaonie n’y manque pas,
ni le bois des Héliades, ni le chêne rouvre aux branches hautes,
ni le doux tilleul, ni le hêtre ni le laurier sans noces ;
voici les fragiles coudriers et le frêne à faire les armes,
et le sapin sans noeud et l’yeuse courbée sous les glands,
et le platane des plaisirs et l’érable aux couleurs variées,
aussi les saules du bord des rivières et le lotus de l’eau,
le buis toujours vert, les petits tamaris,
le myrte bicolore, le laurier-tin bleu foncé avec ses baies.
Vous aussi, lierres entortillés, vous venez, avec
les vignes et ses pampres, les ormes couverts de vignes,
les ornes, les épicéas, et chargé de fruits rouges,
l’arbousier, et, butin du vainqueur, les lentes palmes,
et le pin à la cime retroussée en chevelure, hirsute,
aimé de la mère des dieux, puisque l’Attis de Cybèle
pour lui a quitté l’état d’homme et s’est durci en tronc.
Dans cette foule, imitant un cône, voici le cyprès,
maintenant arbre, enfant autrefois, aimé par le dieu
qui règle la cithare et l’arc, - les cordes et les cordes.
Consacré aux nymphes des plaines de Carthée,
voici un cerf immense ; par ses cornes bien visibles
il offre au sommet de sa tête de longues ombres.
Ses cornes brillent d’or ; tombant sur ses flancs,
des colliers à pierreries entourent son cou rond.
Une bulle sur le front, en argent, liée de petites courroies,
Bouge, vieille comme lui. Brillent
à ses deux oreilles, autour des creux des tempes, des perles.
Sans peur, sans l’épouvante propre à sa nature,
il a l’habitude d’aller dans les maisons et de donner
à n’importe quelle main inconnue son cou à caresser.
Plus que des autres, il est chéri de toi,
Cyparissus, très beau garçon de Céos : à de nouveaux
pâturages tu mènes le cerf, à l’eau d’une source limpide tu le mènes,
tu tresses des fleurs de couleur à ses cornes,
assis sur son dos en cavalier, ici et là, joyeux,
tu freines sa bouche tendre du licol pourpre.
C’est l’été et le milieu du jour et à la chaleur du soleil
les bras courbes du Cancer des rivages bouillonnent.
Fatigué, le cerf pose son corps sur la prairie.
A l’ombre des arbres, il s’attire la fraîcheur.
L’enfant Cyparissus, distrait, de sa lance pointue
le transperce ; quand il le voit mourir d’une sauvage blessure,
il décide qu’il veut mourir. Quelles consolations ne lui fait pas
Phoebus ! Comme il lui rappelle de souffrir légèrement,
selon la perte ! L’enfant gémit pourtant et comme dernier cadeau
demande aux dieux d’en haut de le laisser pleurer tout le temps.
Son sang s’épuise en larmes infinies,
Ses membres commencent à tourner au vert,
les cheveux tombant sur le front de neige
deviennent crinière hérissée ; quand ils sont raides,
ils regardent, de leur cime gracile, le ciel étoilé.
Le dieu est triste et gémit : « je te pleurerai,
tu pleureras les autres. Tu seras là pour ceux qui souffrent », dit-il.