Pedro Kadivar | Vingt-huitième nuit d’été
Je nomme l’arbre qui repousse chaque matin devant ma fenêtre en me levant à l’aube, toujours le même qui pousse chaque matin pour la première fois et que je renomme pour la première fois. Je nomme le soleil qui me réchauffe chaque matin, toujours le même aussi et que je renomme du même nom pour la première fois chaque matin. Et le vaste paysage qui s’étend devant ma fenêtre, toujours le même, qui se déroule tout frais chaque matin devant moi, l’horizon, le même qui s’étend devant les yeux de tout homme qui se lève, depuis des millénaires de prime fraîcheur chaque matin, et qui se réjouit d’être nommé du même nom différent par tout homme chaque matin. Cette toute première fois de chaque matin qui porte l’arbre et le soleil et l’horizon, et qui porte encore beaucoup sans s’alourdir le moins du monde, qui ne se fatigue pas de s’ouvrir aux yeux de tout homme qui examine les possibilités de sa journée en se levant à l’aube, puisque toute journée de tout homme commence par son réveil, car même l’insomniaque que je suis tourne son regard vers le soleil après sa veille nocturne et considère l’horizon, obscur jusque-là, et y revoit de nouvelles choses, celles nouvelles de chaque jour qui sont toujours les mêmes et toujours encore nouvelles, car il s’agit de reconsidérer la lointaine et inviolable virginité de l’horizon qui fait face à tout homme au commencement de sa journée et où il contemple les possibilités d’une nouvelle journée après une nuit de veille ou de sommeil qui a duré une nuit ou des années, l’éventualité d’un pas, il s’agit de peser le poids du monde dans le creux de ses mains et de se sentir vivant, de calculer l’exact volume d’air inspiré et expiré depuis sa naissance et de se compter parmi les vivants, se voir multiplié à l’horizon dans les multiples possibilités de la journée qui commence, s’y projeter avec la vitalité propre à tout homme et nommer avec le don incompressible de voix diverses entendues depuis sa naissance, cette toute première fois qui recommence chaque matin, comment la nommer ?