Pedro Kadivar | Vingt-neuvième nuit d’été
Cette nuit où il se sentit vert comme un jardin, laissant se promener en lui hommes et animaux dans la forêt profonde, comptant leurs pas au rythme de son cœur calme en cette nuit, les regardant apparaître et disparaître comme des fantômes de chair à mesure que lui-même s’endormait, rêvant éveillé de lui-même s’endormant, allant enfant dans la forêt profonde pour saluer hommes et animaux envahi par la peur de se faire dévorer par l’animal le plus doux et la vulnérabilité de l’homme inoffensif, fragile, nu comme un cheval tombant de fatigue en rentrant de longues batailles diurnes, visant son point faible afin d’y reconnaître sa force, puisque déjà enfant il savait que s’édifie la force dans la fêlure de l’âme, sachant que désormais, en voie de devenir inéluctablement homme, il devait reconnaître en lui-même la faille, il laissa s’étendre en lui villes et jardins et ne dit rien, salua hommes et animaux d’un geste muet qui invitait au silence, un geste de reconnaissance, un des premiers appris de la mère quand elle salua le nouveau-né sorti enfin de son ventre, quand elle salua le nourrisson lui réclamant son sein, quand elle salua le fils revenant au pays natal après de si longues années, toujours exactement le même geste, le même visage, celui d’une femme devenue un jour mère et la demeurant toujours faisant toujours le même geste à chaque retrouvaille, il fit le même geste et laissa hommes et animaux passer leurs chemins en lui, hommes et animaux dont il fut mère en cette nuit où il savoura le battement lent et souverain de son cœur calme, en attendant l’aube pour se mettre en route à son tour et traverser la forêt profonde en d’autres hommes en qui il faisait nuit en plein jour.