Raharimanana | Danses
Sur le fil du temps, la vérité marchant comme un funambule, un pas de côté, et la voici mensonge.
Mes chers coccitoyens, voici aux tout derniers jours d’Irak. dix ans pendant, plus de États-Unis et d’autres ont fait des efforts patients et honorables pour. Friture. désarmer la guerre. ce régime avait pris l’engorgement. détruire ses armes de destruction massive. du temps et des avantages. ont tous échoué. les uns autres après, parce que nous n’avions pas affaire à des hommes pacifiques. nous détruirons l’appareil de la terreur et nous irons vois-tu mon amour, nous irons sans rien, vous aiderons à construire un nouvel Irak, nouvel Irak, libre, prospère. Dans un Irak libre, il n’y aura plus de guerres. Dans un Irak libre d’agression contre des États voisins, il n’y aura plus. Irak, il n’y aura plus de fabriques de poisons, il n’y aura plus d’exécution d’Irak et il n’y aura plus de chambres de torture et de salles de viol. Irak le tyran disparaîtra bientôt. Le jour de votre libération. proche. mes chers occi, occi, occi. mes toyens, mes chers.
Tant de méandres pour perdre le sens, les diseurs se gorgent de barbarie et s’emparent des mots, restent le rauquement de la voix et la saccade des désirs…
Quant à moi,
j’ai tout coloré dans les rêves du corbeau.
Paillettes d’étoiles empoussiérées, corrosives bribes des calendes, resurgissent les cloaques de mes sublimes,
autres bâtards ont pris l’île. Nuit m’écarte salive et me cherche amour. Je n’ai de nudité que par la perle froide que confisque l’œil. Songe et mensonge, ceci n’est qu’une histoire.
j’ai pris de vous les ténèbres et les jours, j’ai pris de vous les pleurs et les rires, j’ai pris les chaînes, j’ai pris les licols, j’ai pris les jougs, j’ai pris l’exil,
de vous la barbarie, ma honte comme seul butin, ma douleur comme seul élixir, j’ai pris de vous un soleil trop brillant,
et les rêves inaccessibles,
la réalité où l’on me dépouille, la réalité où l’on me spolie, la réalité où l’on m’humilie,
j’ai pris ce qui me restait de vous, les rires et encore les rires,
naturel que je suis, grand enfant…
quelques siècles déjà qu’on s’attelle à me faire don d’humanité…
mes fantômes sont mâtinés de brume, ils se lèvent couverts de rosée et de suie. L’eau est noire tombant de leurs âmes. Je suspends mes rêves.
Eau noire pour oubli,
Mes pensées sont lianes sensuelles contre barbelés bien réels…
mais voici venir mes conquérants qui m’ôtent mes dieux et saccagent mon corps. Ils me renomment et me recréent,
me baptisent me civilisent me délivrent m’instruisent me sauvent et me développent me démocratisent me modernisent m’arrachent à ma lie à ma boue à ma fange à mes guerres à ma sauvagerie à mon ignorance à mon obscurantisme à mes fanatismes à ma terre miséreuse et sous-développée ma terre sud ma terre lointaine ma terre émergente ma terre où se noie tout progrès ma terre de guerre de conflit de famine de corruption ma terre de dictature et de régime bananière ma terre aux catastrophes ethniques et autres joyeusetés négromaniaques…
Océan de bonheur, peine insubmersible…
Mes fantômes sont mâtinés de brume, ils se lèvent couverts de rosée et de suie, leurs âmes égouttant l’eau noire de l’oubli. Eux n’ont pas assez vécu et me demandent des comptes, j’ai mes fantômes mâtinés de regrets, évidés d’espérance et spoliés encore de parole…
Je vous dis ce monde… Nous naissons dans le noir, vivons le temps d’une couleur, retournerons dans le noir, dans le silence qui nous a créés. Seul nous semble compter le temps où furent suspendues les ténèbres et l’incompréhension, le reste se dilue dans la douleur des vivants. Trop réels pour être acceptés. Nous ne rêvons que d’illusion, que de douceur et de légèreté. Ai-je trop vécu ?
Voici une enfant mort-née. Sa mère est sans connaissance encore sur un lit de pierre. Son grand-père la porte vers quelque falaise et l’enterre dans une quelconque grotte ou dans un recoin de cette muraille rocheuse. Voici une enfant mort-née, je l’appelle Fille de la lune, née un jour d’éclipse, morte sans couleur.
Je regarde ma sœur, elle aura porté mon premier fantôme…
Et de suite, je n’aurai pas compris, je n’aurai pas saisi. Les paroles rentrées et le silence qui s’esquisse sur les lèvres. Le refus qui d’instinct m’envahit, refus de porter ces paroles, refus de simplement les accueillir. Mais les mots sont complices de la mémoire, creusent gouffre, s’y précipitent et vous y entraînent. Écrire alors pour ne pas complètement sombrer. Et folie garder pour dérision salvatrice de ce bien trop réel sombre…
Voici l’enfant mort-née, née un jour d’éclipse, morte sans couleur, n’ayant connu que l’eau du ventre de sa mère, déposée loin déjà, ensevelie sous le silence. Nul n’en a plus jamais parlé. Les oiseaux ont fini de picorer son âme.
Le silence ne peut être oubli. L’absence de mots ne peut être éradication de la mémoire. Mémoire trop lourde se dépouille de la langue pour réinterroger le sens car le présent tord vers l’événement et les jours, force vers l’actualité, malmène le sens…
La langue du présent, comme éternelle soumise, se donne bien trop souvent aux désirs des dominants, langue de survie, langue de ceux qui se font visibles pour tracer les jours. Prendre pause alors et distance instaurer. Prendre silence et se laisser dépouiller de la possibilité immédiate de dire. Dénoncer, certes, mais survivre du présent, tout jour où les faits reviennent et sont encore, l’incapacité du monde à trouver raison au désastre, l’actualité n’étant qu’artifice figeant le temps, violente fixation des émotions et pleurs qu’aucun n’aura su endiguer…
Qui déjà créent l’événement, prétendent en être les maîtres et attirent l’attention ? Langue souvent qui nous aveugle, harangue des âges, sangle à nos peurs lié, ligature du sens qui nous fuit, de ce sens que l’on ne peut saisir. Que signifie toute cette peine ? Que signifient toutes ces incohérences ? La mort et les blessures. Le temps et l’effacement des jours. La mémoire qui s’en va et le futur indécis. Nous sommes là. Tout simplement là. Sans parfois nous en rendre compte…
Je vous arrête.
Est-il une mémoire hors du temps ? Est-il une mémoire hors de la parole ?
Mais guetter le diseur quand l’écriture refuse de se figer pour redevenir paroles, quand les lignes s’oublient dans la voix et redeviennent poèmes à dire, histoires à conter, rêves à redessiner. Monde étrange que seule la littérature peut explorer. Dire. Écouter. Imaginer. Réinterpréter. Reprendre et redire. Le diseur dans les méandres des mots traque-t-il la vérité ou l’y égare-t-il pour mieux la préserver ?
Le diseur rit, se plaît dans l’entour et le détour, se plaît dans l’impalpable et l’improbable, il rêve même d’une langue à son image, tordue. Vient-il de tel pays ? Il dit oui. Vient-il de cet imaginaire ? Il dit oui. De quel maître a-t-il puisé sa verve avant de se présenter à nous ? Il évoque un Érasme et son éloge de la folie : « C’est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous. » Il évoque un obscur proverbe venu d’une île perdue dans l’océan : « Insensé celui qui ressemble à son père. » On l’interroge sur tout et n’importe quoi. Il répond ceci ce jour. Il répond cela une autre fois. Il dit avoir tout connu, tout vu, détient-il réellement la vérité dans ces fables qu’il parsème ? On le croit. On le raille. Mais on ne cesse de l’interroger. On le prend pour fou mais c’est trop d’honneur… ou d’humiliation – de devoir écouter un fou. On dit alors qu’il a une autre langue.
Nous y revenons à la langue.
L’obsession de rendre cendre à la langue fugitive et de figer le sens une bonne fois pour toutes, le savoir acquis, la connaissance imputrescible, l’utopie des lettres, aleph, trace première du don à l’homme, désir d’éternité, se redessiner autre non évanescent, durer à notre incapacité à nous redire temps sur temps, l’indolore espace qui nous traverse et qui nous terrasse, beth, pour que demeure le tout et que les signes délimitent l’existant, conjuration de nos peurs, masques de nos amnésies, ailleurs ne peut être, chaos, barbarie qui ne sauraient plier, étendue pour expansion de l’ordre né des premiers gestes. Écrire, penser l’impensable, l’appréhension du tout, rendre corps à ce verbe pour un dieu infaillible, feindre d’y croire jusqu’à nier cette impossibilité de tout penser, justifier cette folie par la volonté divine, seule volonté à la mesure du savoir ultime, pourquoi sommes-nous là ? Pourquoi ? Tracer. Contenir. Couvrir l’impensable…
Danse, mes ombres voltigent à ras de sol,
Vertige m’encense et me fait déroute, j’ai mis cœur à terre
torsade est mienne, inextricable conte où m’élancer, m’enlacer, m’ensabler,
là.
Mille racines,
là de mon sol, fracas retrouvé, mon être…
Car chevaucher la tempête implique des risques d’égarement…
Étrange tressée de mes rêves, se roule et déroule sur un réel impensable.
Souvent, vent violent souffle. Me souviens alors du temps lent qui refoule les amours.
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