Thomas Compère-Morel | "365 Phyllies de Java" [Extrait], "L’Alexandrin français" "Koïmêtêrion"
Thomas Compère-Morel est né à Paris en 1960.
Il conçoit sa poésie comme une imagerie cérébrale qui ramène à la conscience le fil de pensées, d’impressions et de représentations jusque-là camouflées.
Publications
–- L’Hypsignathe suivi de La Grande guerre du Musée, Dumerchez, 2000, textes courts.
–- La Gare centrale, Seuil, Fiction & Cie, 2005, roman.
–- 365 Fulgores (recueil illustré par Robert Combas), Dumerchez, 2012, poésie.
Enregistrement
–- Lettre au Père, de Franz Kafka, Frémeaux & Associés, 2003.
[Extrait]
Une peau de bête portée sur le dos nu courbé en avant une journée d’automne le sol de la forêt est recouvert de petites feuilles jaunes humides et mortes il tourne sur lui-même quelques secondes à peine
jaunes tachées de rouge un sang léger un bâton à la main
le flot de la rivière se fait entendre par moment
il n’en tient pas compte ce serait s’imaginer
c’est déjà trop loin
une écritoire une table une carafe l’écritoire indiscernable la table en fer forgé la carafe
courbé en avant une voix à peine amplifiée au travers d’un appareil c’est pourquoi il tourne sur lui-même
la sonnerie du hall de l’hôtel dans un brouhaha qui court par le grand corridor
vide
en pleine lumière
un grand hôtel robes longues du soir
mais il ne peut l’entendre
une ondée
il ne bouge plus depuis des heures bientôt accroupi
il a dit une palmeraie alors ce n’est pas ici
enfant de la patrie en treillis vingt sept années
tout en même temps
une sonnerie de théâtre
il y a plus loin un gazon jusqu’à plusieurs jours de marche qui pourrait devenir golf de tranchées
rien n’y fait et puis il saute à pieds joints accroupi debout
un nouveau tour
un autre personnage
en costume les cheveux en arrière
derrière une vitre dans une autre pièce on ne l’entend pas mais on voit bien qu’il parle très fort est-ce qu’il crie
c’est à cause du bruit un bruit de grandes machines
ou bien est-il sourd
on ne pourra jamais les atteindre
une chaise qui courrait dans une cour en jungle
après qu’il a beaucoup plu
ce n’était plus l’hôtel ce n’était plus les grandes machines
c’est déjà trop loin
À la porte
dans le sens de la sortie
pas de murs pas de toit
un seuil
on le pousse dans le dos pour le dernier départ
le sifflet de la locomotive
treize Mères qui se lamentent
on oublie tout il marche sur la steppe
tout en bras
les genoux tremblants le regard fier
(bruissement du vent)
Pour aller quelque part ou bien de l’autre côté
rien n’est assuré et pourtant je me souviens bien
la torpeur d’un commencement
on ne lui a rien dit c’est certain pas la moindre indication
droit devant pour l’instant
les mollets en sang
sans savoir où il se trouve
(bruissement du vent)
à quoi lui sert la grammaire à quoi lui sert la parole
(bruissement du vent)
Des grappes de raisins de son jardin dans les poches
un chapeau de paille pour la ville sur la tête
évidemment il ne faudrait pas qu’il s’assoie ou qu’il s’évanouisse
ne porte-t-il pas de pantalon si mais il est trop court
ah et où va-t-il pourquoi doit-il s’y rendre
un rendez-vous ancienne dette
il ne faudrait pas qu’il s’assoie ou qu’il disparaisse
la végétation est maintenant très dense elle lui arrive
jusqu’au-dessus des chevilles
(bruissement du vent)
I
Bleu de deux arbres l’un pousse l’autre noirs
Bleu de croix blanche au rectangle jaune et rouge avec du feu
Tête tournée col relevé à la croix de pierre grise
Épaules tombantes qu’est-ce qu’il dit
II
Il dit
Avec la chair sur les os et les positions qui s’alignent et se croisent
C’est une flèche et son empennage
Tchastázat !