Anne Luthaud | 10 fois une minute #2
Une minute
Elles sont seules ou par deux. Quand par deux, se tiennent le bras en avançant. Elles font leurs courses à l’heure où il n’y a personne. Un peu courbées, cheveux épais et gris ou blond passé. Un cabas au bras. Elles ne travaillent plus depuis longtemps. elles parlent bas et se tiennent pour ne pas
Une minute
Elles sont japonaises et chic. Vêtements fluides noirs ou bleu sombre. Passent d’une boutique de luxe à l’autre en chuchotant. A peine maquillées, maquillées pourtant. Elles rient à petites gouttes. Elles avancent à petits pas et
Une minute
Assis sur des chaises autour du bassin avec jet d’eau du jardin des Tuileries, ils s’amusent. Regardent les trous de leurs pantalons. Parlent de maquillage et de soirées. Ils ont 20 ou 25 ans. Ils sortent de cours de sciences politiques. Leur vie est
Une minute
Une glissade dans du blanc, de l’eau claire. Frémissement jaune d’une jonquille, pétale sur la table, ciel gris. Et des bourgeons qui verdissent dans un vase où ils n’étaient pas attendus.
Une minute
Du boudin. Et des pommes. C’est lui qui me les a fait goûter ensemble. Le vin dans la cuisine, le tabac dans la pipe le soir. Les plats qu’il confectionnait, je l’aidais, petite main.
Une minute
Alors : un champ blanc. Un lac gelé blanc. De la brume au-dessus qui absorbe les contours de la montagne. Pas une image vécue. Une image de film. Qui reste rémanente.
Une minute
Il y a la cible*, le p’tit kamal* et le soleil qui tape dedans. Ça dessine quelque chose, un chemin sur le mur de la chambre. Ça inscrit quelque chose, une pensée du monde ? une géographie qu’elle aurait fabriquée ? Et puis l’ombre vient
Une minute
Le plancher est propre,
Les lattes frottées. Les sièges installés les uns à côté des autres, personne dessus sauf moi. J’attends. 2 personnes viennent de rentrer, rhume et toux, salle d’attente.
Une minute
Le regard est plongé vers les lattes propres. Infiniment triste. Bajoues tombantes. Mains croisées sur le ventre proéminent. Maintenant il dort. Il m’a souhaité bonne année en entrant. J’ai à peine répondu.
Une minute
Ne pas y penser. Ne pas penser aux obligations. Ni aux désirs factices. Ni aux contraintes forcées. Ne pas penser. Etre juste dans la blancheur du matin. Blancheur qui, si elle était de la chaleur des pays du sud serait préférable, nettement préférable au froid glacé qui saisit les mains et les pieds quand
* © Scomparo