Le monologue de Nathalie
Je me souviens très bien du moment où j’ai commencé à lire. Je me suis dit que le monde était à moi, que tout devenait accessible, que j’avais les clefs du monde. J’ai lu beaucoup et très tôt. Pour choisir les livres à la bibliothèque, je me repérais aux titres et aux illustrations. Et puis, quand j’ai eu épuisé le rayon enfant, je suis passée au rayon adulte, et je me suis sentie perdue. Il était vaste, trop vaste, et inaccessible pour une adolescente de quatorze ans. Que faire de ces livres trop nombreux, tous identiques, sans images ?
J’ai cessé de lire.
Si je me mettais à relire aujourd’hui, j’irais peut-être vers les essais, et la philosophie. Mais je n’ai plus besoin de la fiction : la vie suffit largement, entre ma maison à Orléans, mon travail à Gentilly, mes cinq enfants, mon chat, ma petite fille… Je suis grand-mère. Je suis une maman très occupée. Gentilly-Orléans, aller-retour, chaque jour, avec toutes mes occupations, je n’arrive à dormir que cinq heures par nuit. Alors je dors aussi pendant mes trajets en train.
Quand je lisais, il me semblait que je ne vivais pas. Et maintenant que je vis, je n’ai plus besoin de lire.
J’ai fait un bac technique et j’ai beau avoir les mains dans la terre (j’enseigne le jardinage), j’ai gardé quelque chose de mes lectures au long cours. Un goût pour le vocabulaire, un émerveillement (elle dit, avec gourmandise, avec force) : quotidien … hebdomadaire… j’aime les mots, je n’ai pas besoin du dictionnaire pour les comprendre. Un mot lu dans une phrase, puis relu ailleurs, et je finis par en deviner le sens. Les mots sont plein de nuances, comme la vie. A nous de les faire vivre.
Je n’ai pas fait d’études littéraires, je ne voulais pas gâcher le bonheur que j’ai eu à lire. Au lycée, j’ai su que je n’aimerais pas les commentaires composés.
Les toiles, par exemple, je comprenais toiles de maître alors qu’il fallait lire : toiles d’araignées, dans le métro on respirait un air, je comprenais un air de musique, alors qu’il fallait comprendre, parait-il, un air vicié.
Petite déjà, je prenais la liberté de lire à ma façon.
Hier, un collègue professeur me demande de prendre dans ma classe un de ses élèves dissipés, parce que c’est le jour de…j’entends le jour de mon anniversaire, alors que c’était le jour de mon inspection. La liberté que j’ai connue dans les livres ne m’a jamais quittée. Le vocabulaire vit sa vie à travers moi. Tant mieux si les mots se rêvent d’autres sens à travers moi.
Lecteurs, autorisez-vous à voir le héros en brun, alors qu’il est soi-disant blond dans le livre que vous avez entre les mains !
J’aime trop le langage pour accepter les phrases bancales et laisser les choses au hasard. J’écris dans le train. Dès que je suis à l’arrêt, écrire me redevient une souffrance. Pour pouvoir écrire plus longtemps, certains jours, je m’offre un omnibus, comme un luxe… Voilà ce que les livres m’ont appris : ne pas être asservie à la routine, saisir les occasions d’y échapper, faire vivre ce qui me rend poète, goûter à ce qui me rend libre…
Merci à Nathalie B., professeur à la Fondation Vallée, Gentilly.
J’ai cessé de lire.
Si je me mettais à relire aujourd’hui, j’irais peut-être vers les essais, et la philosophie. Mais je n’ai plus besoin de la fiction : la vie suffit largement, entre ma maison à Orléans, mon travail à Gentilly, mes cinq enfants, mon chat, ma petite fille… Je suis grand-mère. Je suis une maman très occupée. Gentilly-Orléans, aller-retour, chaque jour, avec toutes mes occupations, je n’arrive à dormir que cinq heures par nuit. Alors je dors aussi pendant mes trajets en train.
Quand je lisais, il me semblait que je ne vivais pas. Et maintenant que je vis, je n’ai plus besoin de lire.
J’ai fait un bac technique et j’ai beau avoir les mains dans la terre (j’enseigne le jardinage), j’ai gardé quelque chose de mes lectures au long cours. Un goût pour le vocabulaire, un émerveillement (elle dit, avec gourmandise, avec force) : quotidien … hebdomadaire… j’aime les mots, je n’ai pas besoin du dictionnaire pour les comprendre. Un mot lu dans une phrase, puis relu ailleurs, et je finis par en deviner le sens. Les mots sont plein de nuances, comme la vie. A nous de les faire vivre.
Je n’ai pas fait d’études littéraires, je ne voulais pas gâcher le bonheur que j’ai eu à lire. Au lycée, j’ai su que je n’aimerais pas les commentaires composés.
Les toiles, par exemple, je comprenais toiles de maître alors qu’il fallait lire : toiles d’araignées, dans le métro on respirait un air, je comprenais un air de musique, alors qu’il fallait comprendre, parait-il, un air vicié.
Petite déjà, je prenais la liberté de lire à ma façon.
Hier, un collègue professeur me demande de prendre dans ma classe un de ses élèves dissipés, parce que c’est le jour de…j’entends le jour de mon anniversaire, alors que c’était le jour de mon inspection. La liberté que j’ai connue dans les livres ne m’a jamais quittée. Le vocabulaire vit sa vie à travers moi. Tant mieux si les mots se rêvent d’autres sens à travers moi.
Lecteurs, autorisez-vous à voir le héros en brun, alors qu’il est soi-disant blond dans le livre que vous avez entre les mains !
J’aime trop le langage pour accepter les phrases bancales et laisser les choses au hasard. J’écris dans le train. Dès que je suis à l’arrêt, écrire me redevient une souffrance. Pour pouvoir écrire plus longtemps, certains jours, je m’offre un omnibus, comme un luxe… Voilà ce que les livres m’ont appris : ne pas être asservie à la routine, saisir les occasions d’y échapper, faire vivre ce qui me rend poète, goûter à ce qui me rend libre…
Merci à Nathalie B., professeur à la Fondation Vallée, Gentilly.
15 juin 2011