Antoine Bertot | De l’encre dans l’œil

Tout d’un voile noir que tu appelles
pesanteur : aussi bien la nuit
que le jour – les visages par tes yeux.

« Ce qui est tombé –
et quand – je n’en sais rien. »

Nous sommes à l’intérieur
d’un silence – un domaine –
où l’air est lourd de sommeils –
d’images étrangement reliées.

*

« A l’ombre d’un jour » – ne viendra pas,
demeure en lisière – les pommes à terre
portent
une lumière faible – une
fin de saison : tu te souviens
l’odeur lorsque ouvertes
elles laissent
les vers les ronger ?

*

Avec le soir passe dessous la couleur –
elle est, comme nous maintenant,
partie de la nuit – sa densité.

*

Façade claire au bout du jour :
cet abri et jardin – « une clairière, non » –
apportent un peu d’air.

Des images dans le cadre : quelqu’un –
tu ne sais qui – regarde,
dans l’étouffement du bois, s’atténuer
l’écorce peut-être une paume.

De même la cabane disparaît – sa fenêtre –
pourtant ne s’efface – « mais avant
le toit s’effondrait ».

*

A quelle main tu te heurtes
et laquelle te tient là ?

Contre le front,
elle redresse ta nuque – empêche la chute –
les yeux plus haut que la fatigue.

Tu peux reposer le poids et la sueur des jours –
« il y a longtemps, ce fut une caresse ».

*

Si la fièvre peut quitter la peau
quand viennent les heures – l’air –
faciles à respirer, l’herbe
plus douce sous le pied ? Or
en ce jour étiré, encore
tête et corps à porter.

« Si tu retires la main », enfin je tomberai
à l’angle du cou,
là où stagne,
consolante, la salive d’hier.

*

L’ombre depuis,
diffuse et non au sol,
traverse l’intervalle des lèvres
et dans quel fluide se dissout –
ce désastre – et de la sorte atténue
sans rien excepter de l’éclat –

… de même révèle
les lignes plus sourdes où agit
l’imprécision de nos yeux ?

*

Depuis longtemps, elle ne tombe plus.

Dans l’encre étalée,
une main ou l’écorce trace le sentier.

Les frontières se perdent –
s’ouvrent aux passages.
Ce qui, de loin en loin, à peine persiste,
résonne.

*

Taches de rousseur

– « des feuilles à cette heure
s’éparpillent les oiseaux –
s’en iront cette semaine ».

Cela fait des jours,
d’intentions contraires,
qu’ils ponctuent l’horizon,
annoncent la nuit où
ton visage se confond lentement.

De l’encre dans l’œil (extraits), d’après les photographies d’Israël Ariño).

18 septembre 2019
T T+