Antoine Bertot | Intervalle Monk

Le piétinement est une première danse.

Devancer Monk, non, Monk
qui retient son
souffle et nous prend à revers, non.

*

Monk : coupures, frappes, angles, nœuds. Et
maintenant quoi, par ses silences, et sa musique ?

*

Comment, cahier ouvert à mesure des mots,
ne pas s’éloigner du clavier de Monk,
et ne pas taire, évidente, la tension
qui, venue aux oreilles, ne finit pas
ailleurs de frapper ?

*

Commence par un accord – tu parles,
d’abord un écart – un espace –
où résonne le souffle lourd du piano,
solo, après la première frappe
raide.

Souffle qui parfois est de Monk lui-même – entre ses lèvres.
Les notes demandent un peu plus de corps – non
les doigts seulement
ni l’os, la voix – un peu plus d’air pour avancer
« continuer à respirer ».

*

Le pas est rompu, évite
tout partage d’emblée et retrouvailles,
poursuit plusieurs traces
ouvertes et reprises ou
écran de fumées devant les yeux – des empreintes
à distance, leurs
manières ou foulées erratiques.

Monk livre peu.

*

En retard ou pensant devancer
– ne pourront ces mots espérer dénouer,
être fantômes des notes : cette
musique ne supporte pas d’ombre,
et son énergie
contenue résiste – assèche direct
la phrase qui s’y penche.

Reste l’articulation – une frappe.

*

Musique de Monk – à l’écoute : un bloc erratique
dont les reliefs abritent vies tenaces
rêches et les souvenirs de la force retirée
qui pèse encore.

Thelonious Monk est mort le 17 février 1982.

*

Les notes fragmentent – autrement dit
relient par le suspens, vers quel
réseau sinueux
interne, du tympan tapé aux veines.

Elle, musique, se détourne
se défie – défile, demeure
emmêlée autour de nos doigts.

*

La durée tient grêlée, corps
et âme –
soudainement en mesures effilochées.

Elle glisse sous le pied,
s’effrite en étranges figures : ses retours
sont des avancées – boucles qui tendent
chaque fois plus
les cordes.

Obstinément sécantes – conséquentes.

7 avril 2020
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