Benoît Artige | Figures libres, Francis Bacon
Chaque être humain est le résultat d’un indécent jeu de hasard : lui était né inachevé, la figure ouverte en son milieu par une large fente – lèvre supérieure et palais coupés en deux, ce que l’on nomme “bec-de-lièvre”, image arrachée au bestiaire magique peuplant les tapisseries des temps anciens, entre oiseau et conil, animal effrayant. Il rechercha longtemps dans les miroirs, même après avoir été reprisé par un ogre au sourire impeccable et aux mains de dentellière, l’énigme de ce visage semblant avoir été figé à jamais en plein milieu d’une métamorphose. Découvert sur le tard, l’autoportrait peint par Francis Bacon en 1972, avec cette sorte d’éclair qui scarifie la face, l’exubérance morbide des chairs et le presque dévoilement des os, sembla enfin lui renvoyer l’image la plus juste de lui-même – quelque chose de la beauté étrange et un peu ivre du fruit trop mûr.