Bientôt l’éternité m’empêchera de vivre
Il y a des poètes qui réclament leur part de lumière – ils sont rares et tant mieux car on ne voit souvent qu’eux – tandis que d’autres, bien plus nombreux, préfèrent l’ombre, le silence, la discrétion. Jean-Claude Barbé (1944-2017) était de ceux-là.
Il commence à écrire à l’adolescence, lit beaucoup, va de Victor Hugo à Lautréamont ou d’Emily Dickinson à Joyce Mansour, se lie avec André Breton dès 1960 et éprouve, très vite, le besoin de se consacrer sans compter à l’écriture, d’abord pour mettre noir sur blanc ce qui naît de son imagination en effervescence mais aussi pour le plaisir d’être porté, par l’acte créateur, dans un monde beaucoup plus riche que celui, plutôt terre à terre, dans lequel il vit.
« Je vous écris de Nulle part région mystérieuse
quoique située entre le Ciel et l’Enfer
Nulle part dont aucun atlas ne fait mention
Nulle part où je séjourne en attendant la suite des événements »
S’il interroge le présent, c’est pour mieux le transcender. Ainsi remarque-t-il ce que personne, autour de lui, ne semble voir. Il lui arrive d’apercevoir la tête d’une girafe qui sort du haut d’une cheminée. Et de croiser un chimpanzé au volant d’une berline ou de surprendre un poisson volant au-dessus des toits. Ou de se rendre compte, en se retournant, que toutes les maisons devant lesquelles il vient de passer se sont mises en route et le suivent tels des chiens perdus qui ont trouvé un maître pour les guider.
« Un clown en pyjama saute par la fenêtre
Pour rejoindre son ombre ou son reflet dans l’eau
Si la barque s’enfonce il touchera peut-être
Aux mondes mystérieux qu’il voyait les yeux clos »
Régulièrement, l’inconnu le visite. Jean-Claude Barbé l’accueille à bras ouverts. Il lui donne ses mots en partage, le nourrit d’images inventives, étonnantes, malicieuses, lui offre un bestiaire à sa mesure, en profite pour visiter, lui aussi, d’autres territoires, cachés et virtuels, qui se déploient dans ces poèmes au long cours qu’il affectionne. C’est avec eux qu’il s’évade en embarquant dans ses esquifs de papier les lecteurs qu’il a choisis d’inviter à bord. Il appréciait les petites tablées et privilégiait les publications à tirages limités, qu’il diffusait à sa main, dans son entourage immédiat.
« Dans un exceptionnel mélange de timidité et d’audace poétique, Jean-Claude Barbé s’est tenu à la lisière de l’inconnu et, du même coup, à celle de la non-reconnaissance », note très justement Pierre Vandrepote dans sa belle préface, celle-ci nous aidant à découvrir un peu mieux cet homme secret, qui le sera resté jusqu’au bout, occupé à construire, dans l’ombre, une œuvre qui a toujours su garder sa capacité d’émerveillement et qui, tout en étant attaché aux formes fixes, évolua au fil des années, loin des regards. Seuls quelques poèmes ont vu le jour dans les revues surréalistes La Brèche et L’archibras.
« Qu’il ne reste de nos écrits qu’un tourbillon
D’images plus ou moins jaunies par la saison
Notre automne s’allonge et l’hiver impatient
Se résigne à nourrir ses neiges de fourrage. »
Ce « tourbillon d’images », qui emporte le lecteur, ne s’arrête jamais. Il est présent dans tous les poèmes réunis dans cet imposant volume qui comprend, en annexe, les lettres qu’André Breton adressa au jeune Barbé.
« Je me demande et tous les amis se demandent ce que tu peux bien faire à Boulogne même sur mer avec une sorte de cartable sous le bras. » (Lettre du 16 mars 1960)
Jean-Claude Barbé : Bientôt l’éternité m’empêchera de vivre, préface de Pierre Vandrepote, avec la correspondance d’André Breton, Le Réalgar.