Donat Bayer | Deux poèmes traduits du turc par Sylvain Cavaillès
Sur le plateau d’Anzer
I
Eh oui c’est l’été
Ils marchent péniblement
Celle qui est devant oublie qu’elle a une maison
L’autre reste à l’endroit où elle s’est penchée pour ramasser des cailloux
Je mesure la distance entre les deux
Ne connaissant ni le trop, ni le peu
Elle est aussi longue que le bruit que font
Des rideaux que l’on ouvre – eh oui c’est l’été –
Celui qui est derrière dit que la vérité n’est
Ni ce que l’œil voit ni ce que l’oreille entend
Mais oui, celle qui viendra de l’autre côté de la montagne
Me verra en premier
Ils appelaient parole la parole
Je sais maintenant ce qu’est la parole [1]
II
En entendant la bête qui passe
Entre les choses disséminées de-ci, de-là,
Tu te rappelles
Le vacarme des machines
L’étoffe qui se défait en tombant
Le bruit des ciseaux
Les choses qui brillent sur la nappe
Les collines qui se tiennent des deux côtés
La pierre devant le mur du jardin
L’ombre qui tombe sur elle
Et tu comprends
Dans la direction contraire
À la pierre devant le mur du jardin
Aux collines qui se tiennent des deux côtés
Aux choses qui brillent sur la nappe
À l’étoffe qui se défait en tombant
Au vacarme des machines
Et à la bête qui passe
Entre les choses disséminée de-ci, de-là,
Ce que le jour a
De différent de la nuit
III
L’une de ceux qui marchent
Arrête les gens qui passent
Le soleil
Monte.
Sur la route qui grimpe,
Là-bas,
Celui qui passe et celui qui reste
Deviennent égaux.
Et là, maintenant
Sur ce plateau
Où nous sommes arrivés
Après avoir quitté toutes les villes
Que toutes les affaires classées
Soient rouvertes
Qu’à chacun justice soit rendue
Que chacun puisse défendre sa parole.
IV
Ces deux individus, là-bas,
Ressemblent tellement
À deux choses
Qui se ressemblent
L’un regarde en face
À côté une clôture
L’autre saute par-dessus
Et se met à marcher
Ces deux individus, là-bas,
S’éloignent tellement
Tandis que l’un
Prend la place de l’autre
Au champ
I
Cette photo
Dans l’après-midi
Le soleil
Au milieu de l’été
N’est pas là
À moins que quelqu’un ne nous le montre
Deux personnes
Côte à côte
Dans la main de l’une
Un sac un parapluie
Dans celle de l’autre
Un chapeau
Ces deux personnes
Au milieu du champ
Sont comme une seule
À moins que quelqu’un ne nous les montre
II
Sous une faible
Lumière
Deux personnes
Marchent
En comptant
Leurs pas
Un deux
Trois
Au même moment
D’abord le droit
Les deux
Quatre cinq
Ensuite le gauche
Comme c’est beau
Six
De faire
Ensemble
Le même chemin
Sept huit
Sans avoir
D’endroit où aller
Neuf
III
Combien de corps
Avant d’être goudronné
Ce chemin
a-t-il vu
Être démembrés
En plein vol
Combien de bras
Combien de jambes
Avant que cette terre
Ne soit labourée
Par la noire charrue
Dans la pénombre du matin
Sont restés accrochés
Aux arbres
Cette terre
Si tout est oublié
Est parfaite
Les poèmes de Donat Bayer sont à paraitre aux Editions Kontr en octobre 2025
[1] Ces deux derniers vers sont inspirés par les vers d’ouverture de « Nefes » [Le Souffle], in Besim Atalay, Bektaşilik ve Edebiyatı, trad. Vedat Atila, Istan- bul, Ant Yayınları, 1991, p. 70.