Laurent Colomb | Kyotonomatopée



« Un théâtre des corps dans la langue » est la présentation par Laurent Colomb d’un travail sonore qu’il a intitulé Kyotonomatopée. On pourra en télécharger la version française complète ainsi qu’écouter un extrait sonore de la scène 7 enregistré par l’auteur en format mp3.

 

On lira d’autres textes de Laurent Colomb sur son site.


Un théâtre des corps dans la langue


Kyotonomatopée est le résultat d’une résidence de six mois à la Villa Kujoyama (Kyoto) de janvier à juin 2008, résidence soutenue par une collaboration avec la Compagnie Seinendan (Tokyo). Il s’agit d’une conversation en langue à trous entre un homme et les animaux, les arbres de la forêt qu’il traverse. Le thème en est la langue et ses correspondances avec le monde qu’elle s’efforce de décrire.

Divisée en treize scènes de longueurs sensiblement égales, comme autant de bombardements phoniques (et aériens), la pièce se ferme lentement sur l’impossible correspondance entre les mots et les choses. Ainsi progresse-t-on peu à peu vers l’isolement du personnage principal exalté par son absolutisme alphabétique.

Kyotonomatopée se compose en grande partie d’exclamations, d’interjections et d’onomatopées propices à une exploration des capacités figuratives du langage. Elle concentre en didascalies de nombreuses indications de jeux et de déplacements sans quoi certaines répliques seraient impénétrables.

Panaché de formules étrangères et d’explosions lexicales performatives associées à des prescriptions de type phonologique, le texte stimule aussi un travail singulier sur la voix qui peut déboucher sur d’intéressantes confrontations. Il en appelle à nos capacités instinctives d’expression, débordant du cadre policé de la conversation ordinaire, ainsi qu’à l’écoute.

Élaborant depuis Zang num num (1995) une recherche autour de la matérialité des sons du langage, je l’ai peu à peu augmentée d’une interrogation sur ses facultés mimétiques.

Ainsi, Kyotonomatopée talonne Chicken-troy (2006), recueil de fables hyper-bodybuildées inspirées par la fréquentation de centres fitness et par la lecture de magazines d’haltérophilie. Emprunt de néologismes anglo-saxons à connotations anatomiques ou pseudo-zen et de vire-langues éprouvantes à prononcer, le résultat s’apparente en définitive à une épreuve de gymnastique mandibulaire.

Cependant dans Chicken-troy aucune indication phonique, prosodique ou communicationnelle ne renseigne le lecteur sur le sens comme sur l’articulation des répliques, le texte s’accompagnant d’une version francisée, d’ailleurs autonome.

Dans la plupart de mes « polylogues » ou « polyphonies » ces indications ou didascalies sont souvent indispensables à la compréhension des échanges lorsqu’ils sont basés sur des mimiques ou accents toniques socialement codés.

La variété des sonorités choisies (le râle guttural confine parfois avec les stridulations du coït) liées à la pluralité des expressions du discours (l’onomatopée y côtoie le stéréotype verbal) évoquent un univers chatoyant très vite démenti par la servitude des personnages aux nombreux régimes d’abrutissements forcés.

Dénonçant le psittacisme généralisé quand l’écholalie tient lieu de respiration collective, mes pièces ouvrent une réflexion sur nos capacités d’absorption du monde par le bruit des choses.

Elles réalisent un théâtre des corps dans la langue en investissant la dimension sonore et déclamatoire des mots, jamais tout à fait libérés de la pesanteur du sens mais rendus à leur puissance d’ébranlement.

Laurent Colomb


Image de Philippe De Jonckheere, Nuit, tirage aux sels d’argent, Watten, 1994

7 avril 2009
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