Le Texte impossible

"En moi brà»lait un feu de mots", Alain Roussel


Lire Alain Roussel requiert une certaine disponibilité d’esprit, une sorte de lâcher prise afin de se laisser guider par ce flâneur qui s’aventure, subjugué par les lettres et les mots, dans les lacis et les broussailles de la langue, se demandant ce qu’il fait là, continuant néanmoins de cheminer en mettant sa promenade àprofit pour entremêler le réel et l’irréel, le dit et le non-dit, l’imaginaire et l’autobiographie, l’immobilité et le mouvement.
Le Texte impossible naît d’un vide, d’une communication rompue entre l’auteur et l’univers qui ne peut être rétablie que par l’écriture.

« Â J’ai soudain la conviction que l’écriture, s’insinuant dans le monde, va chasser la banalité. Je vais m’installer àdemeure au cÅ“ur des choses, vivre dans l’érection du temps.  »

Cela se passe àArles, àsa fenêtre, avec au loin les contreforts des Baux-de-Provence, ou dans les rues de la ville où il aime se ressourcer entre deux séances d’écriture, sa marche l’amenant àfaire halte dans un café, d’abord pour se désaltérer en buvant une bière et bientôt pour regarder vivre et bouger les consommateurs qui s’y trouvent. C’est làque son imaginaire s’emballe. Une femme est assise au bar, jupe légèrement relevée au-dessus du genou, avec, près d’elle, son sac àmain. Curieusement, il n’observe que cet objet entrouvert « Â comme une bouche qui murmure  », ne peut s’en détacher, en fait le véhicule de sa pensée. Sa vision le propulse ailleurs, autrefois, àBoulogne-sur-Mer (où il est né), porté par cet impérieux besoin d’écrire qui le "déchire comme une décharge électrique".

« Â Que tout cela ne soit qu’illusion ne m’apparaît qu’après, quand j’ai cessé d’écrire. Mais sur l’heure, j’y crois vraiment.  »

Il y a entre Alain Roussel et les mots une belle complicité. Il leur donne beaucoup. Ils le lui rendent bien. Ce qu’il leur demande dans Le texte impossible, en plus de leur survenue déroutante, c’est de l’aider àredonner corps àla femme aimée et, semble-il, perdue. Pour ce faire, le récit va vite basculer et quitter la ville, ses rues, ses remparts pour se resserrer autour d’une absente àlaquelle il va désormais s’adresser,

« Â C’est étrange : écrivant vers toi, c’est tout le procès de l’écriture qui s’accomplit sous mes yeux, l’impossibilité pour le texte de te rejoindre dans la vie même, la défaillance de toutes les métaphores devant l’absolue nudité de ton corps.  »

Ce que l’auteur interroge, c’est son incapacité àrenverser une réalité douloureuse – l’absence d’une femme aimée, désirée – en essayant de la réinventer par l’écriture. Dans un récent poème autobiographique, que l’on peut lire àla suite du Texte impossible, il revient sur ce récit qui n’a cessé de l’accompagner depuis sa conception, au milieu des années 1970.

« Â J’écrivis Le Texte impossible àArles dans la clarté provençale
l’œil rivé sur l’abbaye de Montmajour et la blancheur aveuglante des Alpilles
c’était comme une lettre d’amour et de révolte
àune femme réinventée
celle avec qui je vivais alors dans l’éloignement et dans la perte
j’aurais voulu qu’elle traverse les mots pour venir me rejoindre
qu’elle quitte enfin le grand mutisme blanc
qui l’habitait douloureusement.  »

Il termine en précisant qu’il a échoué. Une quête impossible qui lui était alors d’une nécessité vitale. Sans elle, ce texte empli de vie, de vigueur, de visions et d’espoir n’aurait pu exister. Et c’eà»t été dommage. D’autant qu’il contient déjàen germe la plupart des thèmes que l’écrivain – qui donne la part belle àun imaginaire sensuel et lumineux – n’a, depuis, cessé d’explorer.


Alain Roussel : Le texte impossible , suivi de Le vent effacera mes traces, éditions Arfuyen.

Jacques Josse

28 juin 2023
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